Si l’attaque contre le complexe nucléaire de Natanz visait à pousser Téhéran à durcir ses positions, c’est réussi. Deux jours après cette opération, l’Iran a annoncé le 13 avril –par l’intermédiaire de son agence de presse officielle IRNA –, qu’il allait «commencer à enrichir l’uranium à 60%», et ce, «dès la semaine prochaine».
La réponse de l’Iran à l’attaque contre son site nucléaire de Natanz, que Téhéran impute à Israël, ne s’est pas fait attendre : en annonçant l’enrichissement à 60 % de son uranium, l’Iran durcit son bras de fer diplomatique https://t.co/V2eV5KqSvu
— Le Monde (@lemondefr) April 14, 2021
De surcroît, l’Iranien Abbas Araghchi, ministre des Affaires étrangères adjoint, a envoyé un courrier à Rafael Grossi, le directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), dans lequel il annonce que «mille centrifugeuses supplémentaires d’une capacité 50% supérieure seront ajoutées aux machines présentes à Natanz, en sus du remplacement des machines abîmées.» Les réactions occidentales ne se sont pas fait attendre. Les Français comptent sur «une réponse coordonnée» de la part des pays impliqués sur le dossier du nucléaire iranien.
Cette annonce iranienne intervient dans le contexte des négociations à Vienne qui tentent de ressusciter le Plan d’action global commun (PAGC ou JCPoA en anglais). Pour Marc Martinez, consultant géopolitique pour de grands groupes internationaux, Téhéran se devait de réagir.
«L’Iran réagit à l’attaque de Natanz. Toutefois, la capacité d’enrichissement a bien été réduite par le sabotage de l’usine. Donc cette annonce reste surtout déclarative. L’Iran réagit de manière mesurée», estime-t-il au micro de Sputnik.
Ainsi, les deux ennemis se renverraient-ils coup pour coup, tout en prenant garde de ne pas aller trop loin. Or, il s’agit «d’un jeu très dangereux, car une erreur dans le paramétrage de la réponse pourrait entraîner la région dans un conflit plus ouvert», craint le spécialiste des questions iraniennes.
L’arme nucléaire est «Haram»
Finalement plus on attaque l’Iran, plus il durcit sa position. La République des mollahs enrichit actuellement son uranium à 20%. Après l’attaque de Natanz, elle compte l’augmenter de 40%, le rapprochant ainsi de la barre des 90% nécessaire pour une utilisation militaire. Or, à chaque fois que l’Iran a décidé d’accroître la qualité de son uranium, c’est en réaction à une agression extérieure. Ainsi, un an après que Donald Trump a quitté l’accord sur le nucléaire en mai 2018, Téhéran est passé à 3,67% d’enrichissement en uranium. Même constat après l’assassinat du physicien iranien Mohsen Fakhrizadeh en novembre dernier, Téhéran a atteint les 20% d’uranium enrichi.
«L’Iran est en réaction et réduit son application du JCPoA en fonction des coups de canif à l’encontre de l’accord et des attaques dont il fait l’objet. On s’attendait à ce qu’Israël cherche à torpiller les négociations de Vienne. La surprise vient de l’absence de condamnation de la communauté internationale», souligne le consultant en géopolitique.
Effectivement, la communauté internationale est restée bien silencieuse après l’attaque contre l’usine de Natanz, à l’inverse de son attitude quand l’Iran est perçu comme l’agresseur. Compte tenu de l’augmentation de son enrichissement en uranium, on peut se demander si l’Iran ne parviendra pas un jour à obtenir l’arme nucléaire. Pour Marc Martinez, c’est loin d’être une évidence.
«Je ne crois pas. La fatwa de Khamenei reste une ligne rouge. Être considéré comme un pays au seuil de l’arme nucléaire est une solution plus envisageable», analyse le spécialiste des questions iraniennes.
Rendue publique en 2010, la Fatwa (décret religieux) prononcée par l’ayatollah Ali Khamenei déclarait «haram» (illicite) l’utilisation des armes atomiques. Dernièrement encore, le porte-parole des Affaires étrangères iraniennes Saeed Khatibzadeh avait déclaré que «la position de l’Iran n’a pas changé: les activités nucléaires de l’Iran ont toujours été pacifiques et le resteront.» Indépendamment de sa volonté affichée de continuer à enrichir son uranium, l’Iran reste attaché aux négociations, en dépit des pressions et des attaques qu’il subit. Sur ces dernières, «les Iraniens savent que c’est un piège», pense Marc Martinez.
De nouvelles sanctions européennes contre l’Iran
En pleines négociations, l’Union européenne a annoncé de nouvelles sanctions à l’encontre de huit personnalités iraniennes. En représailles, Téhéran rompt tout dialogue avec les 27 pays européens dans le domaine des droits humains, du terrorisme, du trafic de drogue et des réfugiés. Malgré ce climat délétère, «les Mollahs ne désespèrent pas de trouver un nouvel accord», estime le consultant en géopolitique.
«Les Iraniens répondent, mais sans surenchérir, afin de pouvoir continuer les négociations. Celles-ci avaient très bien commencé d’ailleurs, d’où la crainte des autres puissances régionales de voir l’Iran rouvrir son économie», relève-t-il.
Marc Martinez pointe du doigt, en l’occurence, la préoccupation d’Israël et de l’Arabie saoudite. Les deux pays semblent inquiets d’un retour de l’Iran dans le concert des nations. Or, pour l’Iran, un retour à l’accord et la levée des sanctions lui permettraient de libérer son économie. Comme le précise Marc Martinez, «une annulation des premières sanctions pourrait être un énorme boost. C’est crucial pour la légitimité du régime.» Néanmoins, le consultant reste perplexe sur la suite des évènements dans la région.
«Des puissances cherchent à provoquer et à affaiblir l’Iran, c’est une certitude: Israël est le fer de lance, l’Arabie saoudite suit avec un sourire nerveux aux lèvres, les Émirats arabes unis cherchent à freiner toute escalade militaire», prévient Marc Martinez.