Pour de nombreux pays européens tels que la France, l’Italie, l’Allemagne ou encore les Pays-Bas, l’heure est au durcissement des mesures restrictives pour freiner la troisième vague du nouveau coronavirus. Pas au Maroc. Dans ce pays nord-africain, géographiquement le plus proche de l’Europe, la vie commence à se rapprocher de la normalité. S’asseoir dans un café, manger au restaurant, ou encore s’entraîner dans une salle de sport ou même prendre son bain au hammam, tout cela y est redevenu possible, depuis déjà plusieurs semaines. En même temps, dans l’ensemble du royaume, les indicateurs sanitaires sont presque au vert au point que le pays considère toujours qu’il n’est pas sorti de la première vague. Les chiffres parlent d’eux-mêmes.
Malgré un déconfinement avancé depuis fin août 2020, le Maroc, pays de 36 millions d’habitants, ne recense en moyenne que 397 nouvelles contaminations et une dizaine de décès chaque jour. «Une tendance à l’accalmie et à la stabilité qui est imputable en partie à la stratégie proactive et audacieuse adoptée par le royaume depuis le début de l’épidémie à la mi-mars de l’année dernière. Le mot d’ordre de cette stratégie est de frapper vite et de frapper fort», relève le docteur Tayeb Hamdi au micro de Sputnik.
Bande à part
Le médecin marocain, chercheur en politiques et systèmes de santé, fait référence aux nombreuses décisions prises par les autorités sanitaires pour faire face à la propagation du Covid-19. Des décisions qui, selon lui, «détonnent». En effet, depuis le début de cette guerre contre la pandémie, le Maroc suit sa propre voie en matière sanitaire.
Flashback. Nous sommes fin mars 2020, un communiqué officiel tombe en pleine soirée. Il y est annoncé que le royaume recourt précocement au confinement général, stricte. Les frontières sont aussitôt fermées avec les voisins du nord et de l’est. Ces deux mesures surviennent quelques semaines seulement après que le pays a enregistré ses premiers cas de contamination.
«Une série de mesures qui n’ont été mises en place dans des pays européens qu’au stade deux ou trois de la pandémie alors que le Maroc, en les adoptant, n’était qu’à son premier stade. Cela nous a permis d’éviter la première vague du virus en recensant moins de 200 décès en trois mois. Cependant, nos voisins [européens] qui ont attendu deux ou trois semaines de plus pour fermer leurs frontières, ont malheureusement dénombré, au même moment, près de 20.000 morts», détaille le docteur Hamdi.
À rebours, encore une fois, de ses voisins européens et maghrébins, le Maroc a été l’un des premiers à rendre le port du masque obligatoire pour tout déplacement hors domicile. «Cette décision est tombée le 7 avril 2020. Le royaume avait alors pris soin de sécuriser sa production de masques après que des industriels locaux du secteur du textile ont adapté leur production à la crise sanitaire», rappelle le chercheur, qui est aussi vice-président de la Fédération nationale de la santé (FNS), affiliée à l’Union marocaine du travail (UMT).
Après la décision marocaine, il a fallu attendre près de trois mois pour que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) vienne ajuster ses recommandations sur la brûlante question des masques en conseillant la généralisation du port du masque en public. Auparavant, ses experts estimaient que les masques médicaux devaient être réservés «en priorité aux soignants et aux personnes infectées». «À titre de comparaison, le port du masque n’est devenu obligatoire dans les espaces publics clos en France qu’en fin juillet 2020 [20 juillet 2020, ndlr]», fait remarquer Tayeb Hamdi. L’anticipation des autorités sanitaires aurait fait éviter 6.000 décès au pays, selon les estimations du ministère marocain de la Santé datant de fin avril 2020.
Stratégie de la sourde oreille
Seul contre tous! Le Maroc a longtemps adopté cette position en défendant l’utilisation de la très controversée chloroquine. S’il a été le premier pays au monde à faire le choix radical de généraliser l’administration de cette molécule, dès mars 2020, pour tous les malades touchés par le virus, le royaume a eu du mal à faire passer cette pilule. L’opinion publique marocaine craignait le pire en assistant aux débats houleux sur le sujet à travers les médias internationaux, et surtout français. «Même aujourd’hui l’OMS déconseille l’hydroxychloroquine comme traitement, mais les autorités marocaines font la sourde oreille et continuent à l’utiliser en opérant un léger changement au niveau de la prescription sur le terrain. La chloroquine n’est plus utilisé, par exemple, lorsqu’il n’y a pas de facteurs de risque ou de danger pour le malade ou lorsque le patient est réticent», explique le médecin généraliste qui exerce dans son cabinet à Larache, ville située dans le nord du Maroc.
Dans un entretien donné exclusivement à Sputnik en novembre 2020, le ministre marocain de la Santé Khalid Aït Taleb avait défendu lui-même l’usage de l’hydroxychloroquine, notamment comme traitement précoce contre le Covid-19.
Le ministre marocain avait d’ailleurs laissé entendre que le faible coût de ce traitement pouvait expliquer les polémiques à son sujet. Il a même pointé du doigt l’industrie pharmaceutique, pour qui un médicament à bas prix comme l’hydroxychloroquine représente «un manque à gagner», selon lui.
Des vaccins dans le vacarme
Avec près de 4,3 millions de personnes vaccinées (soit près de 12% de la population), au moins avec une première dose dont près de 3 millions ayant bénéficié de la deuxième, le Maroc se situe actuellement dans le top 10 mondial des pays les plus avancés en la matière par rapport à son nombre d'habitants, selon l’OMS. La campagne de vaccination anti-Covid-19, gratuite et non obligatoire, menée tambour battant dans le pays depuis fin janvier le classe même comme pays le plus vacciné en Afrique. Pour en arriver là, le Maroc a commandé très tôt, dès fin décembre, 65 millions de doses de vaccins britanniques AstraZeneca et chinois Sinopharm. S’y ajoute une récente commande d’un million de doses du vaccin russe, Spoutnik V.
Le Maroc compte parmi les 10 premiers pays qui ont réussi le défit de la vaccination contre la #COVID19 !
— Organisation mondiale de la Santé au Maroc (@OMSMaroc) March 3, 2021
Félicitations pour la réussite de cette campagne ! @Ministere_Sante @WHO @WHOEMRO @ONUMaroc @CinuRabat pic.twitter.com/MmOoxSYDl0
L’Organisation mondiale de la santé a félicité le Maroc pour «la réussite de sa campagne», dans ce tweet datant du 3 mars dernier.
Là encore, les autorités sanitaires marocaines ont ramé à contre-courant par rapport à la majeure partie des autres nations principalement européennes. Celles-ci avaient mis à l’arrêt ou suspendu le recours au vaccin d’AstraZeneca pour ses effets secondaires liés à la formation de caillots sanguins (thrombose), avant de rétropédaler.
En réaction aux retraits en cascade survenus en Europe, le ministère de la Santé marocain a recommandé de continuer à utiliser à l’échelle nationale le vaccin décrié, après une réunion tenue mardi 17 mars dernier à ce sujet avec la commission nationale consultative de pharmacovigilance. Les membres de cette commission ont tranché: «les bénéfices du vaccin AstraZeneca l’emportent sur les risques».
En chiffres, quatre cas de thrombose ont été notifiés à travers le pays, selon les dernières données révélées par la même commission. «En se fiant aux connaissances scientifiques que nous possédons actuellement sur les vaccins, il n’y a aucune inquiétude à se faire surtout qu’il n’y a pas eu de décès. Il s’est avéré que nous avons même moins de cas de thrombose chez les vaccinés que dans la population générale», assure le docteur Hamdi. Et ce médecin-chercheur d’ajouter: «Il faut aussi savoir que ces accidents thromboemboliques ne sont pas notifiés que pour le vaccin AstraZeneca. Si vous regardez les cas qui ont été rapportés avec d'autres vaccins, et notamment avec celui de Pfizer, le nombre de thromboses est plus important. Donc on a du mal à comprendre pourquoi on s'inquiète spécialement pour le vaccin britannico-suédois».
«Le point fort de la stratégie marocaine anti-Covid-19 est que les autorités sanitaires ne se sont fiées qu’aux données scientifiques pour prendre leurs décisions. C’est cette base et cette base seulement qui a prévalu, indépendamment des considérations politiques», conclut Tayeb Hamdi.