«Nous avons une dette envers la Libye, très claire: une décennie de désordre.» Dix ans après l’intervention de l’Otan en Libye, Emmanuel Macron a officiellement reconnu la responsabilité de la France dans le chaos qui secoue la région. Une première depuis la chute du guide Mouammar Khadafi.
«Il y a une forme de reconnaissance des erreurs politiques de la France», résume Kader Abderrahim, directeur de recherche à l’Institut de prospective et de sécurité en Europe (IPSE) et spécialiste de la géopolitique de l’Afrique du Nord, qui veut bien croire en l’honnêteté de la démarche présidentielle.
«Il y a une volonté de dire des choses que l’on n’a pas l’habitude d’entendre. Reconnaître l’erreur de la France en Libye, seulement une décennie après, ce n’est pas banal! D’une certaine manière, ça dit beaucoup de la nouvelle diplomatie qu’Emmanuel Macron veut incarner», ajoute-t-il.
Libye, un drame humanitaire
En effet, depuis l’intervention de l’Otan, dans laquelle la France a joué un rôle central en 2011, le pays ne s’est jamais stabilisé. Bien au contraire, la violence y a fait rage. Les différentes factions ont tenté de profité du vide politique créé par l’élimination de Kadhafi.
En l’absence de statistiques précises due à la situation chaotique, il est difficile d’établir un total précis des pertes humaines.
En recoupant les ressources disponibles, on peut toutefois évaluer les pertes civiles et militaires à au moins plusieurs dizaines de milliers. Sans compter les morts que la déstabilisation de la Libye a provoquées dans les États voisins et les décès de migrants qui ont tenté la traversée vers l’Europe depuis les côtes libyennes après la chute de l’autorité centrale. Le journaliste américain Nicolas J.S. Davis, de Consortium News, estime le chiffre total à près de 250.000 morts.
Il y a donc matière à reconnaître ses torts. Mais pas sans en escompter un bénéfice.
«Macron peut être sincère dans sa démarche et en même temps faire avancer ses objectifs stratégiques. La France veut rester présente en Libye qui se situe dans son espace géostratégique. D’une certaine manière, elle y a d’ailleurs été entraînée à son corps défendant et doit aujourd’hui assumer les conséquences de l’intervention militaire d’il y a dix ans», estime Kader Abderrahim.
Le vent tourne en Libye et, sans que l’on puisse totalement regarder la guerre dans le rétroviseur, le pays semble prendre la voie d’une paix crédible. Le gouvernement d'unité nationale (GNA), sélectionné dans le cadre d'un processus soutenu par les Nations unies, tient le bon bout: le cabinet unifié d'Abdel Hamid Dbeibah s'est vu remettre le pouvoir par le gouvernement de l’Est libyen dirigé par Abdallah al-Thani, ce 23 mars, au cours d’une cérémonie à Benghazi.
La France face à la Turquie en Libye
Ce dernier contrôlait l'est du pays avec l'appui de l'Armée nationale libyenne (ANL) du maréchal Khalifa Haftar. Leur rival, le Gouvernement d'union nationale (GNA) de Fayez el-Sarraj, basé à Tripoli, tenait l'ouest du pays. Il a lui aussi remis le pouvoir, la semaine dernière, au gouvernement Dbeibah. Alors que la situation se débloque aujourd’hui, les acteurs internationaux placent leurs pions. La France en tête:
«Il y a un pays à reconstruire, dans lequel la France peut jouer un rôle. La Libye est également voisine d’États avec lesquels Paris a une relation singulière. De ce fait, la France ne peut être absente du grand mouvement et de la vaste recomposition qui est en train de s’opérer sur le pourtour méditerranéen, avec en ligne de mire la puissance émergente qu’est la Turquie», rappelle Kader Abderrahim.
«On ne peut pas ignorer que la Turquie, qui est très présente en Libye, cherche à jouer un rôle important, à la fois sur les plans économique et politique», ajoute-t-il.
Paris s’assure ainsi un pied-à-terre en Tripolitaine, après avoir reconnu sa responsabilité dans le chaos qui a secoué le pays pendant dix ans.
Reste à savoir «si cet aveu de culpabilité française aidera la France à retrouver sa place en Libye et dans la région», conclut Kader Abderrahim.