À quand la sortie de crise sanitaire et la reprise de la vie normale? À cette question toute simple, Thierry Breton a cru pouvoir apporter une réponse bien précise sur le plateau de TF1, ce dimanche 21 mars.
«Prenons une date symbolique: le 14 juillet nous avons la possibilité d'atteindre l'immunité au niveau du continent. C’est la dernière ligne droite parce que nous savons que pour vaincre cette pandémie, une seule solution: se faire vacciner. Les vaccins arrivent, ils seront là.»
Une affirmation pour le moins optimiste, si l’on en croit le docteur Alexis Hautemaniere. «L’immunité collective est acquise soit par la contraction de la maladie elle-même, soit par la vaccination», explique le médecin épidémiologiste du centre hospitalier d’Avranches. Selon lui, la vaccination «sûre et efficace» serait en réalité le seul moyen d’envisager une sortie de crise. Ainsi n’y aurait-il «aucune chance» pour que l’immunité populationnelle soit atteinte dès la mi-juillet, affirme notre interlocuteur.
Sur le plateau de TF1, le commissaire européen chargé des vaccins, Thierry Breton, dans l’incapacité d’expliquer clairement pourquoi l’Europe est en retard sur les États Unis et le Royaume Uni. Tout ira mieux demain. #malaise
— Olivier Truchot (@Olivier_Truchot) March 21, 2021
L’immunité collective ne pourrait pas être atteinte avant «15 ou 18 mois»
«55% de la population française vaccinée, cela représente environ 45 millions de personnes. Si vous divisez 45 par 2,5 ou 3 [millions de personnes vaccinées par mois, ndlr], dans un scénario optimiste, vous obtenez entre 18 et 15 mois avant d’atteindre l’immunité populationnelle», pointe le docteur Hautemaniere.
Loin des quatre mois d’attente avant l’immunité collective annoncés en grande pompe par Thierry Breton, donc. «Et encore faut-il considérer que les 20% ayant contracté la maladie ont une immunité efficace, ce qui n’est pas toujours le cas! Tout le monde ne produit pas des anticorps en quantité suffisante, certains mêmes n’en produisent pas du tout», surenchérit le docteur Hautemaniere.
Covid-19: une vie normale «à l’été, l’automne», selon Alain Fischer https://t.co/CuZNiT0DPB pic.twitter.com/iWX3KccKhe
— La Voix du Nord (@lavoixdunord) March 22, 2021
Se contenter de la 1ère dose, faute de mieux?
D’autant plus que de nombreuses variables d’ajustement peuvent encore retarder le point d’immunité collective. L’imbroglio autour du vaccin AstraZeneca, suspendu par une vingtaine de pays de l’UE après des suspicions d’effets secondaires graves, a encore illustré les failles de la vaccination de grande ampleur. Si la France a depuis repris l’injection de doses estampillées AstraZeneca suite à l’avis favorable de l’Agence européenne des médicaments (EMA), la confiance de l’opinion publique à l’égard du vaccin développé par l’université d’Oxford a chuté. Selon une étude d’opinion YouGov publiée ce 22 mars, ce vaccin est désormais perçu comme «plus dangereux que sûr» en Allemagne, en France, en Espagne et en Italie. En France, 61% des personnes interrogées estiment qu’il n’est pas sûr, en augmentation de 18 points par rapport à une étude réalisée en février dernier. Seuls 23% des sondés le jugent encore sûr.
Monsieur @ThierryBreton vous êtes indécent. Vous avez d’abord dit qu’Israël a des vaccins car le pays a fourni les données de ses citoyens, mnt vous expliquez que la vaccination en Europe lente... « mais sûre», sous entendu ailleurs non. Des gens meurent à cause de cette lenteur! https://t.co/qm5B0TwNdp
— Julien Bahloul (@julienbahloul) March 21, 2021
Outre cette crise de confiance, le délai conséquent (trois mois) entre la première et la deuxième injections dans le cas du vaccin AstraZeneca fait fatalement courir le risque d’une immunité collective plus tardive. Si l’on veut conjecturer sur le calendrier de l’immunité populationnelle, il faut nécessairement prendre en compte ce paramètre, explique le docteur Hautemaniere.
«Tout dépend également du vaccin que vous administrez. En vaccinant uniquement avec AstraZeneca par exemple, l’immunité populationnelle arrivera trois ou quatre mois après la date prévisionnelle.»
Reste une possibilité: celle de se contenter dans un premier temps de l’injection de la première dose, à l’image de ce qui est fait outre-Manche. Au Royaume-Uni, plus de 27 millions de personnes ont reçu une première dose de vaccin, soit 41,5% de la population totale. Mais «seulement» un million de personnes ont reçu la deuxième dose de vaccin (contre 2,5 millions de personnes en France). Une stratégie qui pose question, alors que Pfizer a assuré que le taux d’efficacité de son vaccin contre le virus avec une seule dose correspondait environ à 70%. «On ne serait alors pas très loin du schéma d’immunité populationnelle», fait remarquer le docteur Hautemaniere.
«Si c’est une course contre la montre, il faut obligatoirement vacciner en plus grand nombre. Dans une logique de protection collective et de santé publique (et non de protection individuelle), nous pourrions faire comme l’Angleterre et donner la priorité à la vaccination par première dose. Le bénéfice serait alors plus important», explique-t-il.
Mais, pour l’épidémiologiste, une chose est certaine: l’immunité collective «spontanée», par l’arrêt des mesures de freinage, «est très dangereuse pour la population». «C’est la pire des solutions, cela équivaudrait à un sacrifice d’une partie de la population», assure-t-il.
Pour le médecin, qui nous confie vacciner «au mieux 49 personnes en l’espace de quatre heures», «il faudrait augmenter le nombre de médecins pour vacciner». «On déprogramme pour libérer des lits de réanimation, mais on pourrait aussi suspendre certains services pour rendre davantage de médecins et d’infirmières disponibles pour la vaccination», envisage-t-il.
«Il n’y a pas 50 solutions: il faut vacciner avec les produits les plus efficaces et les plus sûrs», tranche le docteur Hautemaniere.