Le 22 février 2019, des millions d’Algériens descendaient dans la rue pour dire «Non» à un cinquième mandat du Président depuis déchu, Abdelaziz Bouteflika, et exiger un changement radical du système de gouvernance, une séparation des pouvoirs, l’assainissement de la vie politique et économique de la corruption et de l’argent sale et l’engagement du pays dans une voie de développement digne d’une République du XXIe siècle. Sous la pression de la rue, Bouteflika a démissionné de son poste en avril de cette même année et plusieurs de ses ministres, dont deux Premiers ministres, ainsi que des oligarques ont été mis en prison pour corruption et dilapidation de deniers publics, suscitant un énorme espoir de changement dans le pays.
En décembre 2019, porté par la dynamique du Hirak, Abdelmadjid Tebboune est élu Président de la République. Lors de la cérémonie d’investiture, il promet de continuer la lutte contre la corruption, de récupérer les fonds et les biens détournés et de fonder une «nouvelle Algérie». En décembre 2020, une nouvelle constitution est adoptée pour servir de texte fondamental à la «nouvelle République» promise.
Mais le 15 mars 2021, le ministre de la Justice Belkacem Zeghmati adresse une instruction aux présidents de cours et aux procureurs généraux, interdisant l’ouverture d’enquêtes sur des affaires de gestion et dilapidation de deniers publics impliquant un agent public, sans l’aval de ses services, déclenchant un tollé sur les réseaux sociaux.
«Est-ce ça la "nouvelle Algérie"»?
«Le ministre vient de commettre un déni de justice en interdisant à la police judiciaire et au parquet d’enclencher l'action publique dans des affaires de corruption sans l’accord préalable du ministère», affirme Me Assoul.
Et de s’interroger: «Est-ce ça la séparation des pouvoirs qu’on nous a promise dans la nouvelle Constitution? Est-ce ça la "nouvelle Algérie" promue dans le discours officiel depuis plus d’une année?».
«En réalité, rien n’a changé!», déplore-t-elle, rappelant qu’elle a «dit en juin 2019 que l’Algérie allait être gouvernée exactement avec le même système qu’avant, seulement sans Bouteflika».
La nouvelle Constitution algérienne stipule dans son préambule que «le peuple entend consacrer plus solennellement que jamais la primauté du droit». «L’Algérie exprime son attachement à la prévention et à la répression de la corruption, tel qu’elles ont été consacrées par les traités qu’elle a ratifiés», ajoute le texte, soulignant que «la Constitution est au-dessus de tous». Elle «permet d'assurer la séparation et l’équilibre des pouvoirs, l'indépendance de la justice, ainsi que la protection et la sécurité juridique et démocratique et le contrôle de l'action des pouvoirs publics».
— Kamal Louadj (@LouadjSputnikFR) March 19, 2021
Ainsi, Me Zoubida Assoul estime qu’avec «sa décision en contradiction flagrante avec le préambule du texte fondamental de la République, il apparait que dans l’État de droit du ministre de la Justice, les instructions sont aux dessus de la Constitution et des lois».
Dépénaliser l’acte de gestion?
Selon l’instruction du ministre de la Justice, pour lancer une enquête judiciaire à l’encontre d’un agent public, en poste ou non, les procureurs ont l’obligation d’en informer le ministre avec «un rapport détaillé expliquant les faits, leur qualification juridique et la partie qui les a dénoncés». Par ailleurs, le document stipule qu’«aucune procédure ne peut être engagée, que ce soit l’enquête préliminaire, l’enquête judiciaire ou la comparution directe sans l’accord de la direction générale des affaires judiciaires et juridiques du ministère de la Justice».
À ce propos, l’instruction du ministre serait-elle un moyen de dépénaliser l’acte de gestion évoqué plusieurs fois par les pouvoirs publics?
À cette question, Mme Assoul rappelle l’article 6 du Code de procédure pénale amendé en 2015 sous l’ex-ministre de la Justice de Bouteflika Tayeb Louh, actuellement en prison pour des affaires de corruption, et répond: «Non! Au contraire, c’est juste l’affirmation de la mise sous tutelle du pouvoir judiciaire par l’exécutif».
Et d’exposer qu’«en 2015, nous avions déjà mis en garde contre les conséquences de l’amendement introduit par le ministre de Bouteflika qui a encouragé la corruption, instruisant les procureurs d’engager des enquêtes contre les gestionnaires publics que sur plainte des organes sociaux des sociétés victimes des délits incriminés». Alors qu’«avec l’actuelle instruction, le pouvoir a encore franchi un pas plus grave qu’en 2015, du fait que c’est le ministre qui décide sur qui enquêter ou non, c’est donc lui qui décide également qui va en prison ou non», poursuit-elle.
Enfin, Me Zoubida Assoul se demande ce que cherche le ministre de la Justice «en liant les mains aux procureurs qui ne peuvent plus enclencher l'action publique même quand ils ont à leur disposition des informations faisant état de faits de corruption?».
«En tout cas, la lecture qui s’offre à nous en ce moment, c’est qu’il veut protéger certaines personnes en centralisant l’action judiciaire à son niveau pour que les plaintes ne trouvent pas de suite», conclut-elle.