Au Tchad, un collectif compte persuader Idriss Déby que «le moment est venu» de partir

© AFP 2024 MICHAEL TEWELDEIdriss Déby
Idriss Déby  - Sputnik Afrique, 1920, 16.03.2021
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Une plateforme de la société civile, des partis d’opposition et de syndicats a vu le jour au Tchad avec comme objectif: pousser Idriss Déby, candidat à sa propre succession, à renoncer à briguer un 6e mandat. L’initiative, qui fait planer sur cette présidentielle le spectre d’une crise, vient en rajouter à un climat déjà tendu.

Jusqu’où iront les opposants au pouvoir de N’Djaména pour faire abdiquer Idriss Déby Itno?

La pression continue de monter au Tchad à l’approche de la présidentielle du 11 avril. Dernier rebondissement dans la bataille contre un 6e mandat d’Idriss Déby Itno, des partis d’opposition, organisations de la société civile, syndicats et mouvements de jeunes qui se sont constitués en une grande plateforme qui a été présentée vendredi 12 mars 2021 à l’opinion publique, à l’occasion d’une conférence de presse à N’Djaména.

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Ex-ministre tchadien en exil: la présidentielle 2021 présente «un risque de tueries et de massacres» – exclusif
Ce collectif qui compte lancer un mouvement dénommé Wakit Tam en arabe, Le Moment est venu en français, a pour objectif de pousser Idriss Déby, candidat à sa propre succession, à ne pas briguer un 6e mandat. Une initiative qui entend se mettre en place à travers des appels à manifester.

«Nous n’avons pas d’autres possibilités que de faire des manifestations, des marches pacifiques, des sit-in. Toutes les actions pacifiques pour amener le Président Déby à accepter de ne pas partir pour ce 6e mandat qui, en fait, ne nous apportera rien de nouveau», a expliqué à la presse, Michel Barka, président de l'Union des syndicats du Tchad, l’un des leaders du collectif, au lancement du mouvement.

Un contexte tendu

Ce mouvement vient en rajouter à une série de contestations politiques et sociales que la prochaine présidentielle contribue à alimenter. Cette nouvelle initiative risque gros, comme bien d’autres avant, face à la répression du pouvoir de N'Djaména, qui a interdit systématiquement toutes les manifestations de l'opposition et de la société civile, car elles sont «susceptibles d'occasionner des troubles à l'ordre public», justifie-t-il. Le 6 février dernier déjà, les premières manifestations contre la candidature du désormais «Maréchal» ont très vite été dispersées par la police. L'opposition conduite par le parti Les Transformateurs et la société civile avait appelé à des manifestations pour réclamer plus de justice sociale et l'alternance politique. Des sorties qui n’ont pas prospéré face à la violence du pouvoir.

Yaya Dillo - Sputnik Afrique, 1920, 03.03.2021
Au Tchad, la tension monte à l’approche de la présidentielle
Pour Aristide Mono, politologue et enseignant à l’université de Yaoundé 2, «les chances de réussite de la nouvelle démarche de l’opposition tchadienne sont très minimes». Et ce pour moult raisons.

«D’abord le contrôle du maintien de l’ordre par le pouvoir qui depuis janvier s’active à le mobiliser pour soit disqualifier ou brimer les candidats sérieux de l’opposition afin qu’ils renoncent à leurs projets. Il y a ensuite l’impopularité de l’initiative des opposants de la plateforme qui doivent affronter un camp présidentiel organisé autour d’une majorité faite d’une élite qui quadrille territorialement le pays, et qui est prête à réussir dans toute forme de manœuvre corruptive ou violente pour faire échouer les membres de l’opposition. Enfin, le soutien extérieur dont bénéficie le régime Déby qui depuis son arrivée au pouvoir a su compter sur la protection paternaliste particulière de la France à qui il offre ses services guerriers dans ses déploiements militaires dans le Sahel de même que des facilités d’exploitation abusive des richesses du Tchad», analyse-t-il au micro de Sputnik.

Le climat politique s’est encore considérablement tendu ces derniers jours, après la violente tentative d’arrestation de l'opposant Yaya Dillo. Au lendemain de cette interpellation ratée, qui a coûté la vie à au moins trois personnes, trois candidats à l’élection présidentielle ont renoncé à se présenter: Saleh Kebzabo, Mahamat Yosko Brahim et Ngarlejy Yorongar fustigent tous le climat actuel qui «n’est pas favorable à une élection présidentielle libre et transparente».

Le mandat de toutes les incertitudes

Cependant, dans le camp présidentiel, les multiples tensions enregistrées ces derniers jours n’ont pas entamé la détermination d’Idriss Déby Itno. D’ailleurs, le chef de l’État sortant a lancé sa campagne à travers un grand meeting, samedi 13 mars, dans le principal stade de la capitale. Réélu sans discontinuité depuis son arrivée au pouvoir en 1990, à la place de son ancien mentor Hissène Habré, le Président Idriss Déby est presque assuré de gagner dans quelques semaines sa sixième élection présidentielle. Cependant, dans un contexte sociopolitique très tendu, cet autre mandat, pense Aristide Mono, accentue les risques de pourrissement du climat sécuritaire dans le pays: «C’est un pays fragile, sécuritairement démuni où les troubles politiques chaotiques se sont sédentarisés. Jusqu’à ce jour, le pays continue d’avoir dans ces périphéries des rébellions actives comme celle de l’Union des forces de la résistance (UFR) présente au nord vers la frontière avec la Libye».

«Tout peut arriver à tout moment dans ce pays qui accumule tous les ingrédients crisogènes et conflitogènes. C’est donc une énième élection et un sixième mandat à haut risque sécuritaire. L’instabilité peut venir soit d’une révolte populaire conjoncturelle surtout lorsqu’on sait aujourd’hui que la pandémie de Covid est venue dégrader davantage le niveau de vie de la population, soit d’une rébellion armée portée à la fois par les bandes armées actives, en errance ou en hibernation et aussi par les ex-rebelles reconvertis en hommes politiques conventionnels qui pourront retourner à leurs anciens amours. Bref, ces éléments entretiennent le risque d'une déflagration de la situation socio-sécuritaire à n’importe quel moment», prévient l’analyste.

Dans son rapport 2020 sur l’état de la démocratie dans le monde, l’Economist Intelligence Unit (EUI), think tank britannique, a classé le Tchad comme l’un des pays les moins démocratiques du monde. Le pays occupe le 163e rang sur 167.

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