«La Russie s’est engagée militairement en Syrie pour sauver le pays. Aujourd’hui, il est question d’avoir un retour sur investissement de cette politique active et coûteuse».
Au micro de Sputnik, le spécialiste de la région Roland Lombardi analyse le volet syrien de la tournée arabe du ministre russe des Affaires étrangères effectuée du 8 au 12 mars. Une semaine intense de rencontres avec ses homologues qatari, saoudien et émirati.
Et ce, seulement trois mois après une série de visites à Moscou des chefs des diplomaties de ces mêmes pays. Un taux de contacts mutuels sans précédent.
«Contrairement à celle des Occidentaux, la politique russe n’est pas basée sur l’idéologie ou le commerce. Elle est écoutée et respectée pour son pragmatisme et son réalisme. La venue de Lavrov confirme le rôle influent de la Russie dans la région», estime Roland Lombardi.
Et la question syrienne occupe l’une des places primordiales dans ces discussions multidimensionnelles entre la Russie et les pays du Golfe.
Vers le retour de la Syrie dans la Ligue arabe
La Syrie, qui commémore ces jours-ci les 10 ans du début de la guerre dévastatrice, est en proie à des sanctions occidentales. Les Occidentaux comptant visiblement camper sur leurs positions. Dans une résolution adoptée jeudi, le Parlement européen s’est opposé à toute normalisation avec la Syrie d’Assad.
Depuis l’intervention russe à la demande de Bachar el-Assad en 2015, le gouvernement de ce dernier s’est maintenu, puis a récupéré la «Syrie utile», où se concentre la majorité de la population. Lui échappent encore la poche djihadiste d’Idlib, la frontière nord avec la Turquie occupée par Ankara et les zones pétrolifères de l’est, sous contrôle américain.
«En allant dans le Golfe, le ministre russe cherche à convaincre ses partenaires du bienfait d’un retour de la Syrie dans le concert des nations», analyse le géopolitologue.
En effet, Sergueï Lavrov considère que le retour de la Syrie dans la Ligue arabe (dont la participation a été suspendue au début de la guerre civile syrienne en 2011) contribuerait à la stabilité dans toute la région. «Je ne peux que saluer le progrès dans l’opinion collective des pays arabes quant à la nécessité du retour de la Syrie dans la Ligue arabe, a déclaré le ministre lors de sa tournée. Nous sommes toujours pour la conjonction des efforts et pas pour la désunion.»
Et les pays du Golfe semblent l’accepter. Dans la foulée de la visite de Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères saoudien, Adel al-Joubeir, a déclaré que «la Syrie mérite de revenir dans l’échiquier arabe. Nous soutenons tous les efforts à résoudre la crise».
Son homologue émirati a quant à lui affirmé qu’«il [fallait] dépasser les obstacles qui se dressent devant une coopération avec Damas». Mohamed ben Zayed, homme fort des Émirats arabes unis, a, pour sa part, déclaré que «le retour de la Syrie dans son contexte régional est indispensable».
Pour ce qui est du Qatar, la troisième escale du ministre Lavrov, le pays participe depuis un an à un format tripartite sur la Syrie, dont la Russie et la Turquie font également partie. Cette structure sert également à trouver des solutions au règlement syrien conformément à la résolution 2254 du Conseil de sécurité de l’Onu. «Je ne peux que saluer la volonté du Qatar de contribuer à améliorer la situation tragique en Syrie [...] cela traduit le souhait d’aider un pays arabe fraternel», a fait remarquer Lavrov à l’issue d’une rencontre avec ses homologues qatari et turc en marge de sa tournée le 11 mars dernier. Lors de cette réunion, ces deux anciens farouches adversaires de Bachar el-Assad ont rappelé «l’importance de préserver la souveraineté de la République arabe syrienne».
Syrie: le revirement du Golfe, œuvre de Moscou?
Ces efforts diplomatiques et les investissements qui devraient en découler vont sans nul doute aider la Syrie à se reconstruire. Mais plusieurs inconnues demeurent. Le chef de la diplomatie émiratie Abdallah ben Zayed Al Nahyane l’a relevé, «le principal obstacle, ce sont les sanctions économiques», faisant référence à la loi américaine «César» qui asphyxie littéralement la population syrienne et qui interdit de facto toute coopération avec Damas. Et c’est ce qui freine énormément le retour de la Syrie dans la Ligue arabe, selon le cheikh Abdallah. Pour rappel, les Émirats arabes unis ont été le premier État arabe à avoir rouvert leur ambassade à Damas en décembre 2018.
«Tous les États arabes du Golfe étaient initialement pour le départ de Bachar el-Assad. Ils ont financé des milices, des groupes terroristes. Mais depuis l’intervention russe, ces pays savent qu’ils ont perdu et réadaptent leur politique», rappelle Roland Lombardi.
En effet, depuis le voyage du roi Salmane à Moscou en octobre 2017, Riyad considèrerait la Russie comme faisant partie intégrante de la solution dans le conflit syrien. Depuis l’implication de Moscou, la Syrie est sur le point de redevenir «fréquentable par ses voisins arabes», généralise Roland Lombardi.
Consciente que cette guerre s’éternise, la Russie chercherait donc à influer diplomatiquement sur le dossier syrien, juge Roland Lombardi.
«Après le militaire, il y a la diplomatie, qui prépare à son tour l’économie, les investissements, la reconstruction, les aides. La Russie facilite donc les futurs investissements en provenance du Golfe, mais également en provenance de Chine.»
Des investissements dont la Syrie a tant besoin après une dizaine d’années de destruction. Le prix de sa reconstruction est estimé entre 250 et 400 milliards de dollars.