Un mois. Il n’aura fallu qu’un mois pour que l’Administration Biden décide de frapper la Syrie. Dans la nuit du 25 au 26 février, les États-Unis ont bombardé des infrastructures à la frontière syro-irakienne appartenant à ce que le Pentagone a présenté comme une milice soutenue par l'Iran. Washington Post rapporte, en se référant à une source au sein de l’administration américaine, qu’il pourrait y avoir des morts. Il s’agit de la première opération militaire du nouveau Président américain.
Le « camp du bien » n’aura pas mis longtemps à succomber à ses vieux démons. #Syriehttps://t.co/igFeotl4rj
— Jean-Lin Lacapelle (@jllacapelle) February 26, 2021
John Kirby, porte-parole du ministère de la Défense américain, a qualifié ces frappes de «défensives», avant de préciser qu’elles avaient «été autorisées en réponse aux attaques récentes contre le personnel américain et de la Coalition en Irak, et à des menaces toujours en cours contre ce personnel.» Il fait ici référence aux tirs de roquettes des milices des Hachd el Chaabi contre ses bases militaires étrangères en Irak à Erbil, à Balad ou proche de l’ambassade américaine à Bagdad.
Ce n’était donc qu’une question de temps avant que les Américains ne répliquent, affirme Thierry Coville, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste de l’Iran.
«Tout le monde s’attendait à une réponse américaine, il n’y a rien de surprenant dans ce bombardement. Mais il faut l’inclure dans une stratégie plus globale et pas uniquement une simple réponse aux tirs de roquettes.»
Une attaque perçue en Syrie comme une «lâche agression américaine ciblée».
"Cette attaque est contraire au droit international et à la Charte des Nations unies. La Syrie avertit que cette démarche entraînera des conséquences qui, à leur tour, provoqueront une escalade des tensions dans la région», a déclaré le ministère syrien des Affaires étrangères.
Pourquoi les Américains ont-ils bombardé en Syrie alors que leurs intérêts ont été touchés en Irak? C’est là que réside tout l’intérêt de cette «stratégie plus globale» qu’évoque Thierry Coville.
«Il n’y a aucun changement» par rapport l’époque Tump
Le lieu des bombardements est loin d’être anodin. «L’armée américaine a coopéré avec le gouvernement irakien pour savoir où frapper», précise le directeur de recherche. Bombarder la frontière irako-syrienne, selon lui, est un message éloquent adressé aux Iraniens: malgré leur désengagement progressif de la région, les États-Unis ne laisseront pas les Iraniens s’implanter durablement en Syrie.
«Le bombardement est stratégique, car il vise le corridor terrestre iranien qui doit relier l’Iran à la Méditerranée en passant par l’Irak et la Syrie.»
Comme le rappelle le ministre russe des Affaires étrangères Lavrov, la présence américaine en Syrie est «illégitime» et appelle "«au respect inconditionnel de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la Syrie» . Mais tous les Présidents US font fi de ces injonctions..
«Ce n’est pas parce que Biden veut un accord sur le nucléaire, qu’il compte laisser l’Iran libre au Moyen-Orient. Il n’y a aucun changement avec Trump. Les Américains veulent lutter contre la présence iranienne en Syrie.»
Ce bombardement est donc bien plus qu’une simple réponse à des tirs de roquette. En plus de «rappeler aux Iraniens qu’il ne faut pas qu’ils dépassent les limites», comme nous le précise le chercheur de l’IRIS, c’est également un message clair à ses alliés.
Joe Biden le funambule
Israël et l’Arabie saoudite s’inquiétaient de la politique extérieure du nouveau Président américain. Et pour cause, il a fait de la résurrection de l’accord sur le nucléaire iranien sa priorité. Depuis sa prise de fonction le 20 janvier dernier, il a multiplié les gestes à l’égard de Téhéran, rappelle Thierry Coville.
«Depuis un mois, Biden a retiré les Houthis de la liste des organisations terroristes, il a validé un accord entre la Corée du Sud et l’Iran pour débloquer le gel des fonds [iraniens, ndlr] de milliards de dollars liés au pétrole.»
Ses alliés régionaux traditionnels commençaient à sentir le vent tourner. Mais avec ce bombardement, Biden rassure Tel-Aviv et Riyad. Accessoirement, il balaie également les critiques en interne. Certains Démocrates et la grande majorité des Républicains lui reprochaient en effet son ton trop complaisant à l’égard de Téhéran.
«Joe Biden a pris ça pour un test. Il rappelle à l’Iran qu’il y a des lignes rouges à ne pas franchir et cela rassure automatiquement ses alliés régionaux et son électorat», résume Thierry Coville.
Finalement, Joe Biden joue au funambule. Il bombarde des milices dites pro-iraniennes tout en rappelant à l’Iran son souhait d’arriver à un accord. Cette posture d’équilibriste, à vouloir plaire à tout le monde, risque de s’avérer perdante.
«Suite à la visite du chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), il y a uniquement une fenêtre de tir de trois mois pour arriver à un accord diplomatique entre les partis», rappelle le spécialiste de l’Iran.
Trois mois semblent bien dérisoires face à l’ampleur d’une telle tâche…