La Syrie prise entre le marteau de Daech et l’enclume américaine: «les sanctions font le jeu de la radicalisation»

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Drapeau de Daech* - Sputnik Afrique, 1920, 05.02.2021
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19 soldats syriens ont été tués par l’EI*. Près de deux après la défaite du califat, l’armée syrienne peine à venir à bout de ses reliquats. En effet, les sanctions économiques américaines aggravent la pauvreté du pays, favorisant la radicalisation islamiste, estime Fabrice Balanche, géographe et spécialiste de la Syrie. Les USA, alliés de Daech?
«L’objectif de Daech* est de maintenir son organisation clandestine, basée sur du racket, du vol, de la contrebande de matières premières, mais également sur le harcèlement des troupes de l’armée syrienne», explique Fabrice Balanche.

Mercredi 3 février, les troupes syriennes de Bachar el-Assad subissaient une attaque terroriste, faisant 19 morts selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH). L’offensive a été revendiquée par le groupe État islamique*.

Régulièrement, des affrontements avec les djihadistes ont lieu dans le désert de Deir ez-Zor, région hautement stratégique pour Damas. En effet, cette région, qui représente environ 60% des ressources pétrolières du pays, n’est pas sous le contrôle du gouvernement syrien, nous rappelle le géographe Fabrice Balanche.

Damas en a pourtant grand besoin pour pallier ses difficultés financières. Mais, à ce jour, elles sont contrôlées par les forces kurdes à l’Est de l’Euphrate, soutenues par les Américains et les Occidentaux.

«L’essentiel du pétrole syrien est à l’Est de l’Euphrate et il est sous contrôle américain et kurde. Washington n’a pas envie que les Syriens reprennent ce pétrole. C’est une stratégie qui vise à couper les approvisionnements de Damas», décrit Fabrice Balanche.

Une situation dont profite l’organisation terroriste, qui chercherait selon lui à dominer cette zone à des fins financières pour se régénérer. Ainsi Daech* serait-il en période de gestation ?

Présence américaine: Washington, allié objectif de Daech*?

Déjà en décembre dernier, l’organisation avait commis un attentat meurtrier contre un bus de soldats dans la région de Homs, alors qu’ils avaient obtenu la permission de rentrer chez eux pour les fêtes de fin d’année. L’attaque avait fait 37 morts. En définitive, l’EI a renoué avec des actions terroristes plus classiques, à l’instar d’Al-Qaïda*.

«Dans les régions où Daech* est présent, les djihadistes maintiennent un environnement de terreur. Ceux qui ne veulent pas payer se font assassiner. À terme, ils souhaitent reprendre des forces pour refaire le coup de 2014», prévient notre interlocuteur.

De plus, la pauvreté ambiante favorise le maintien djihadiste en Syrie, et ce, malgré leur défaite de mars 2019. Une «aubaine» pour les islamistes, précise Fabrice Balanche. Alors que la Syrie peine à se remettre de ce conflit, la situation économique est aggravée par les sanctions américaines. Baptisée loi César, la déferlante de sanctions imposées par l’Administration Trump est entrée en vigueur en juin 2019. Gel des avoirs, impossibilité d’accès au système bancaire américain: 411 personnalités syriennes et 111 entreprises, banques et organes étatiques syriens étaient dans le viseur de Washington.

La pauvreté, «une aubaine» pour les djihadistes

Mais, asphyxiant littéralement l’économie du pays, elle a surtout fait du peuple syrien sa première victime. Indirectement, elle visait aussi à saper l’influence des alliés iraniens, russes et libanais de Damas, qui luttaient contre les terroristes en Syrie. Ainsi, les djihadistes des différentes mouvances ont-ils profité de cette situation, estime le spécialiste de la Syrie au micro de Sputnik.

«La situation économique intenable en Syrie créée du mécontentement, et cela, Daech* le sait. L’organisation en profite pour recruter de nouveaux membres.»

Cette stratégie avait été utilisée dans les années 90 contre l’Irak, nous rappelle-t-il. Les Américains avaient imposé un embargo sur tout le pays. Les conséquences furent catastrophiques d’un point de vue humanitaire, et c’est également à cette époque qu’une couche de la population sunnite commença à se radicaliser. En Syrie, la radicalisation va de pair avec la pauvreté, une pauvreté entretenue par l’embargo américain: «les sanctions font le jeu de la radicalisation», souligne le géographe.

Alep, Syrie - Sputnik Afrique, 1920, 27.01.2021
Avec leurs sanctions, «les USA se parent de beaux concepts, alors qu’en Syrie, ils agissent sans foi ni loi»
La lutte contre Daech* fait consensus. Or, l’organisation terroriste sert surtout de prétexte pour s’ingérer dans le pays. Les États-Unis se servent de Daech* pour y maintenir des forces.

«Les Américains se réfugient derrière la lutte contre Daech*, mais en vrai, il s’agit d’une occupation illégale avec pour objectif de faire pression sur Damas et de bloquer le corridor iranien.»

Ce corridor iranien est un projet terrestre reliant Téhéran à Beyrouth en passant par Al-Boukamal, à la frontière irako-syrienne. Les dirigeants iraniens souhaitent ainsi sanctuariser une zone allant jusqu’à la Méditerranée, en englobant l’Irak, la Syrie et le Liban.

La reconstruction de la Syrie, seule solution pour éradiquer le djihadisme

Une telle entreprise vise à fournir le Hezbollah en matériel militaire. Parce que le transit ne peut se faire par voie aérienne, les Mollahs sont contraints de transiter par voie terrestre.

© SputnikCarte de la situation militaire en Syrie février 2021
La Syrie prise entre le marteau de Daech et l’enclume américaine: «les sanctions font le jeu de la radicalisation» - Sputnik Afrique, 1920, 05.02.2021
Carte de la situation militaire en Syrie février 2021

Or, Washington entend contrecarrer l’influence iranienne en Syrie. De là à utiliser Daech*, il n’y aurait qu’un petit pas que Washington pourrait aisément franchir, avance Fabrice Balanche:

«Durant le conflit en Syrie, tout le monde s’est renvoyé Daech*. Cela serait machiavélique de la part des États-Unis de pousser les terroristes vers les territoires contrôlés par Damas, pour embêter et affaiblir les Iraniens, les Russes et les Syriens.»

Mais pour le géographe et spécialiste de la Syrie, cette obsession anti-iranienne pourrait changer avec Joe Biden. En effet, la nouvelle Administration américaine fait des négociations sur le nucléaire iranien une priorité. Mais de là à croire à un départ des troupes américaines de Syrie, à un desserrement de l’étau des sanctions contre Damas et au soutien indirect de Daech* par Washington, cela reste impensable aujourd’hui.

 

 *Organisations terroristes interdites en Russie 

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