«Les sanctions sont devenues un terme diplomatique abstrait, déshumanisé, dans les grandes instances internationales», estime Pierre Le Corf, très remonté, au micro de Sputnik.
Pour l’humanitaire français, présent sur le terrain depuis 2016, le monde doit connaître le réel impact des sanctions sur le peuple syrien et ses conséquences à long terme.
Ainsi s’est-il joint le 21 janvier dernier à l’appel lancé par Alena Douhan, rapporteur spéciale des Nations unies sur les mesures coercitives unilatérales, pour mettre fin aux sanctions économiques en Syrie. Également signée par de nombreuses personnalités religieuses syriennes, des humanitaires et des politiques, cette initiative s’adresse aux Présidents Emmanuel Macron et Joe Biden, ainsi qu’au Premier ministre britannique, Boris Johnson. Il est surtout question d’interpeller le nouvel hôte de la Maison-Blanche afin de le mettre en face des conséquences de la politique américaine. Une véritable «catastrophe humanitaire», résume l’appel.
«Ces mesures provoquent un état de siège permanent pour la population, enfermée et contrainte de survivre tant bien que mal», explique Pierre Le Corf.
Les dernières sanctions américaines sont entrées en vigueur en juin 2020. Les premières datent de 1979, à l’encontre de Hafez Al-Assad, le père de l’actuel dirigeant. Baptisée loi César, la nouvelle offensive juridique visait à saper la reconstruction du pays tout en affaiblissant les alliés russes, iraniens et libanais. 411 personnalités syriennes et 111 entreprises, banques et organes étatiques syriens étaient dans le viseur de l’Administration Trump.
«C’est Bachar el-Assad qui est prétendument visé, mais c’est le peuple qui est la réelle cible»
Gel des avoirs, impossibilité d’accès au système bancaire américain: cette «pression maximale» était totalement assumée par Washington. Et plus encore: quiconque s’approchant d’eux s’expose désormais à se voir accusé de complicité avec le gouvernement syrien.
Du «terrorisme économique», selon Damas. Témoin oculaire, Pierre Le Corf estime que les sanctions ont pour but de retourner le peuple contre son propre gouvernement. Diviser pour mieux régner, en somme.
«Tout est devenu difficile pour les Syriens. Ils peinent à se nourrir, à se guérir, à se chauffer, à se déplacer, et ça, les Américains le savent pertinemment.»
Un scénario à l’irakienne est donc envisageable en Syrie tant que les Américains n’arrivent pas à atteindre leur objectif: le départ d’Assad. Une réalité qui révèle crument les paradoxes de la politique étrangère américaine: Pierre Le Corf en dénonce la profonde inhumanité, alors que les États-Unis prétendent défendre la liberté et la démocratie:
«Les États-Unis se parent de tous les beaux concepts des droits de l’Homme, alors qu’en Syrie, ils agissent sans foi ni loi.»
Pierre Le Corf cache difficilement son désespoir face aux besoins des Syriens.
Les Syriens ne vivent plus, ils survivent
L’humanitaire nous informe que le coût de la vie a été multiplié par 100 depuis le début de la guerre. Avant le conflit, 50 livres syriennes équivalaient à un dollar. Aujourd’hui, ce sont 5.000 livres syriennes qu’il faut débourser pour obtenir le même dollar.
«Les Syriens qui ont encore un peu d’économies sombrent dans la pauvreté alors que les autres tentent désespérément de survivre.»
Les Syriens meurent à petit feu devant l’inaction et le mutisme de la communauté internationale. Dans une vidéo réalisée par Pierre Le Corf, de nombreux Syriens témoignent des difficultés quotidiennes pour avoir du pain, de la farine, du lait pour les enfants, des médicaments, du pétrole et du gaz pour se chauffer en hiver. Les sanctions touchent l’intégrité physique et la psychologie des Syriens, ajoute l’humanitaire français.
L’abattement et le désespoir se généralisent. Se faire soigner devient un luxe. La colère, la faim et la fatigue sont visibles, toutes confessions confondues. Malgré les efforts du gouvernement, l’économie est exsangue et le pays est en train de se dépérir. «Nombreux sont ceux qui veulent partir sans même savoir ou aller», estime Pierre Le Corf. Il pointe du doigt la responsabilité de l’Occident et prévient que l’Union européenne pourrait bien pâtir une nouvelle fois de sa politique:
«Les Européens ont subi une grave crise migratoire en 2015. Avec ce régime de sanctions, il est fort probable que des centaines de milliers de Syriens prennent la route de l’exil. L’Union européenne se plaint des conséquences alors qu’elle en chérit les causes.»
«Les sanctions sont comme une guerre d’usure», ajoute Pierre Le Corf, encore plus destructrice que la précédente, car invisible et sous-médiatisée. «Tout n’est que politique, lorsqu’il s’agit de critiquer Bachar, tous les médias répondent présents. Mais lorsque l’Occident a du sang sur les mains, il n’y a plus personne», tacle-t-il.