«C’est un paradoxe. Joe Biden est arrivé à la Maison-Blanche avec de bonnes intentions sur le Yémen. Or, cela se traduit par une aggravation de la situation militaire», fait remarquer à Sputnik Quentin de Pimodan, analyste au Research Institute for European and American Studies (RIEAS).
Et pour cause: le conflit yéménite connaît une énième phase d’escalade militaire entre les rebelles houthis et la coalition arabe menée par l’Arabie saoudite. Dimanche 7 mars, en représailles à des attaques de drones sur le sol saoudien, Riyad a bombardé plusieurs sites militaires des insurgés à Sanaa, la capitale du pays. Au total, les rebelles ont fait état de sept frappes aériennes sur plusieurs localités du pays. Selon SPA, l’agence de presse officielle de l’Arabie saoudite, il s’agit du «début d’une opération militaire avec des frappes contre les positions militaires des Houthis à Sanaa et dans d’autres provinces.»
Yémen: Les Houthis affirment que "l'aviation militaire de la Coalition a lancé 7 frappes aériennes sur Sanaa" https://t.co/PlsUz2g1YQ
— ANADOLU AGENCY (FR) (@aa_french) March 11, 2021
Sous-médiatisée, la guerre au Yémen entre pourtant dans sa septième année. Les belligérants sont incapables de trouver un accord. Les Houthis veulent mettre la main sur toutes les zones stratégiques du pays, alors que le gouvernement yéménite, soutenu par Riyad, veut mettre fin à l’insurrection.
Biden légitime les opérations des Houthis
Les rebelles yéménites convoitent notamment la ville de Marib, non loin de Sanaa. Hautement stratégique, cette localité est le dernier bastion des forces gouvernementales dans le nord du pays. Depuis la semaine dernière, les combats de haute intensité ont repris. Ils ont fait plus de 90 morts, dont 58 dans les rangs houthis. La perte de la ville de Marib serait un scénario catastrophe pour l’Arabie saoudite. La milice chiite sanctuariserait ainsi ses acquis territoriaux à la frontière saoudienne. Un dénouement que Riyad veut éviter à tout prix: aussi, aide-t-elle massivement les troupes gouvernementales.
Pour Quentin de Pimodan, cette «surenchère guerrière» a été «propulsée» par une décision du Président américain, malgré ses bonnes intentions. En tirant un trait sur la politique de son prédécesseur, Joe Biden a en effet retiré la milice des Houthis des organisations terroristes le 16 février dernier. «Nous renforçons nos efforts diplomatiques pour mettre fin à la guerre au Yémen, une guerre qui a créé une catastrophe humanitaire et stratégique», avait déclaré Joe Biden, le 4 février dernier, lors de son premier discours de politique étrangère au département d’État. «La guerre doit cesser», avait-il asséné. Or, peu de temps après, les insurgés ont lancé leur offensive contre la ville de Marib. «C’est l’illustration parfaite de ce que les Saoudiens redoutaient», explique analyste au RIEAS.
«En décidant de retirer les Houthis de la liste des organisations terroristes, Joe Biden leur a donné la légitimité de continuer les combats», estime ainsi Quentin de Pimodan.
Malgré leur infériorité militaire, le 7 mars, les Houthis ont envoyé 12 drones sur des installations d’Aramco, la compagnie pétrolière nationale saoudienne. S’ils ont tous été interceptés par Riyad, le constat demeure: «d’un point de vue purement saoudien, cette décision de Washington vient mettre en danger la stabilité de la région», ajoute notre interlocuteur.
Yémen, vers un scénario catastrophe pour Riyad?
D’autant plus que la décision américaine à l’égard des Houthis visait sans doute à faire un geste vers Téhéran, protecteur des chiites. Le dossier sur le nucléaire iranien reste en effet la priorité de l’Administration Biden. Une tentative détournée, qui patine donc: «sa politique initialement pragmatique s’avère être un échec pour le moment», juge Quentin de Pimodan.
En définitive, Joe Biden tâtonne depuis son arrivée au pouvoir. Il veut ménager l’Iran tout en restant proche de l’Arabie saoudite. Il suspend la vente d’armes à destination de Riyad, mais ne sanctionne pas Mohamed Ben Salman dans l’affaire Khashoggi. Dans une posture d’équilibriste qui rappelle un certain «en même temps», Biden cherche à satisfaire toutes les parties. Une hésitation qui ne manquerait pas d’avoir des conséquences pour Washington, à en croire Quentin de Pimodan:
«À trop énerver le régime saoudien, il risque de se tourner vers d’autres fournisseurs, à savoir la Russie ou la Chine», prévient-il.
Pour l’heure, les Saoudiens feraient ainsi «comprendre au Président américain leur désaccord.» En bombardant Sanaa, ces derniers auraient adressé «un pied de nez à Washington»:
«Riyad rappelle que le dossier yéménite est [à ses yeux, ndlr] un sujet de politique interne et ce, qu’importent les dires de Biden», conclut Quentin de Pimodan.