Le temps passe, le temps presse. Cinquante soldats français ont trouvé la mort au front depuis que la France s’est engagée au Mali en 2013. Huit ont péri dans la seule année 2020. Pour l’opinion publique française, ce chiffre est aujourd’hui difficile à accepter.
«Ajustement» des effectifs
La question de la réduction des effectifs français engagés en première ligne est donc au cœur des débats du sommet de N’Djamena lundi 15 et mardi 16 février. Notons qu’Emmanuel Macron ne se rend pas physiquement dans la capitale tchadienne.
D’ailleurs, du côté de Paris, on aurait même déjà pris des décisions sur ce dossier. On entend dans les couloirs des différents ministères concernés qu’un «ajustement» de la force pourrait avoir lieu.
«Parmi les scénarii possibles, on pourrait assister à une réorientation stratégique. C’est une petite musique de fond que l’on entend régulièrement ces dernières semaines. L’on pourrait revenir au format initial de 4.500 militaires», explique Caroline Roussy, responsable Afrique de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), interrogée par Sputnik.
«Barkhane n'est pas éternelle, mais, à court terme, nous allons rester, ce qui n'empêche pas des évolutions. Les pays sahéliens veulent que nous restions», expliquait au Sénat le 9 février Florence Parly, ministre des Armées.
Daech* affaibli, Al-Qaïda* reprend du service
En janvier 2020, un mois après la mort de treize soldats français au Mali, Emmanuel Macron annonçait un «surge», un prompt renfort dans le jargon militaire américain. 600 soldats étaient envoyés au côté des 4.500 hommes et femmes déjà sur place pour les appuyer sur le théâtre sahélien. Un choix stratégique que le général Marc Conruyt, à la tête de l’opération Barkhane, a jugé payant:
«Le "surge", les effectifs supplémentaires qui avaient été décidés dans le cadre du sommet de Pau, a permis à Barkhane de gagner de la liberté d’action, de pouvoir créer davantage d’incertitude, d’imprévisibilité sur nos adversaires. On l’a bien vu dans l’opération Bourrasque en particulier [opération conjointe menée dans le Liptako, entre Mali, Burkina et Niger, à l’automne dernier, ndlr], quand vous êtes capable de créer cette incertitude et cette imprévisibilité sur l’adversaire, vous obtenez des résultats.»
«Ce "surge" nous a permis d’aller jusqu’au bout des zones refuges de l’EIGS* [État islamique au grand Sahara*, ndlr] et c’est probablement grâce à ça que la mise en place de la force européenne Takuba peut s’opérer dans les meilleures conditions dans le Liptako», ajoute le général.
En effet, depuis plusieurs mois, les armées locales et françaises se targuent de bons résultats, face à l’EIGS*, désigné ennemi numéro un dans la région par le chef d’État français. Mais le monstre a plusieurs têtes.
Amorcer une transition
À l’ouest du Mali, dans le Gourma, la situation reste critique. Al-Qaïda au Maghreb islamique*, désormais appelée GSMI (Groupe de soutien aux musulmans et à l’Islam) apparaît désormais comme la nouvelle menace. Ses katibas (unités ou camps de combattants en Afrique du Nord ou dans le Sahel) sont très agressives, très structurées, s'inquiète le général Conruyt. Dans ces conditions, réduire la présence armée semble être un choix compliqué.
#Terrorisme Le nombre d’attaques terroristes au #Sahel a augmenté de 250% depuis 2018, en particulier au Nord et au centre du Mali et dans la zone des trois frontières (Mali, Burkina Faso, Niger) #GSIM #EIGS (Rapport annuel sur le contre-terrorisme du @StateDept américain)
— Jean-Charles Brisard (@JcBrisard) June 29, 2020
Comment donc ajuster le niveau de ses troupes sans laisser respirer l’ennemi? Cette question sera centrale durant les discussions entre les protagonistes du sommet de N’Djamena.
«Il sera certainement question de mettre plus en avant les armées africaines. Un scénario qui semble crédible», confie la responsable Afrique de l’IRIS.
C’est d’ailleurs, selon elle, la marche à suivre pour éviter de rester bloqué dans le bourbier sahélien: «Mon sentiment serait de mettre plus en avant les armées africaines et la force européenne Takuba, de sorte à progressivement aller vers une visibilité moindre de Barkhane.»
«Au sommet de Pau en 2020, Emmanuel Macron attendait que les dirigeants du G5 Sahel réaffirment publiquement le besoin des États africains de l’aide française. Ce qu’ils ont fait. Le nouveau Président de transition malien était d’ailleurs à Paris la semaine dernière pour réaffirmer cette position», rappelle Caroline Roussy.
D’après elle, l’un des enjeux de ce sommet sera donc également la réaffirmation africaine du besoin d’aide français. Sans quoi, la mission ne pourrait être menée à bien.
Seule inconnue, la volonté de négocier avec les GAT, un sujet qui ne devrait pas être à l’ordre du jour selon la chercheuse de l’IRIS. «La France n’est toujours pas favorable à la discussion avec les terroristes», rappelle notre interlocutrice. Contrairement aux autorités locales, qui ont déjà négocié avec ces groupes armés!
*Organisation terroriste interdite en Russie.