Une semaine après le coup d’État militaire à Naypyidaw, les réactions internationales continuent de déferler. La Nouvelle-Zélande a annoncé ce 9 février la suspension de tous ses contacts politiques et militaires avec la Birmanie. Wellington ne reconnaît pas la légitimité du pouvoir en place et réclame la libération des leaders politiques du pays, à commencer par Aung San Suu Kyi, chef de l’ex-gouvernement civil. C’est ce que revendiquent également des milliers de manifestants qui défilent contre le putsch dans plusieurs grandes villes birmanes. À l’origine du coup d’État, les élections de novembre 2020, donnant une large victoire à la Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti d'Aung San Suu Kyi, avec 83% des suffrages. Un scrutin dénoncé par les généraux, dénonçant des fraudes électorales à grande échelle. La seconde raison qu’invoquent les militaires est l’incapacité des autorités civiles à contrer l’épidémie du Covid-19.
Le 1er février, Pékin, allié historique de la junte, avait lapidairement appelé à un règlement des différends «dans le cadre de la Constitution» alors que l’agence Chine nouvelle qualifiait le coup d’État d’«important remaniement ministériel». Fidèle à sa stratégie de non-ingérence, la diplomatie chinoise demandait ainsi d’«éviter d'intensifier le conflit et de compliquer la situation». Est-ce à dire pour autant que la Chine soutient la junte?
Des relations «difficiles» entre Pékin et les militaires
Wang Yi, ministre chinois des Affaires étrangères, se trouvait justement en Birmanie mi-janvier dans le cadre d’une tournée dans quatre pays de l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est). Les principaux sujets abordés durant ce périple: la lutte contre la pandémie et la relance de l’économie birmane.
La géopolitologue rappelle que le Président Xi Jinping s’était lui-même déplacé en Birmanie en janvier 2020 afin de rencontrer Aung San Suu Kyi. La visite s’inscrivait dans le cadre de la politique dite des nouvelles routes de la soie. Les investissements chinois se sont multipliés dans cette perspective. Des infrastructures sont en construction, notamment le corridor économique entre les deux pays et le port de Kyaukpyu, qui permet à Pékin d’accéder «aux mers chaudes». L’empire du Milieu est le premier partenaire économique du pays, représentant 30% des exportations birmanes et 40% des importations. C’est ainsi que les Chinois «suivent la situation de très près». Une déstabilisation approfondie pourrait nuire aux investissements, explique la spécialiste de l’IFRI.
Pour la deuxième nuit consécutive, ce 3 février, les habitants de Yangon ont protesté contre le coup d'État militaire en #Birmanie en frappant sur des casseroles et des poêles, en applaudissant et en faisant clignoter des lampes sur leurs balconshttps://t.co/OLoevqfocw pic.twitter.com/T9XmbMYyT1
— Sputnik France (@sputnik_fr) February 4, 2021
Elle constate que le jeu de l’empire du Milieu est «ambivalent» dans le dossier birman. L’armée de l’Arakan, groupe considéré comme terroriste par la Birmanie, est soutenue logistiquement par l’armée chinoise. Avant la transition démocratique de 2011, la relation entre les militaires birmans «hyper-nationalistes» au pouvoir et Pékin était donc «difficile». Les Chinois se «méfient des retours de bâton» comme en 2011 avec l’arrêt du projet du barrage géant Myitsone, censé leur fournir de l’électricité. Ce qui importe à leurs yeux, c’est d’avoir une «relation fluide» avec le pouvoir birman, aujourd’hui contrôlé par les militaires, analyse Sophie Boisseau du Rocher.
L’Occident a-t-il lâché Aung San Suu Kyi?
Notre interlocutrice replace le coup d’État dans le «contexte de rivalité sino-américaine». Avant ce putsch, le Myanmar (autre nom de la Birmanie) se dirigeait tout droit vers un «rapprochement avec les Occidentaux, notamment les Américains». La mise en place d’une «stratégie indo-pacifique libre et ouverte» mettait le pays en valeur. Or le soutien chinois au pouvoir militaire birman «pose effectivement problème aux Occidentaux» dans le cadre de ce projet, observe la chercheuse. Il convient de rappeler toutefois que les relations entre l’Occident et la Birmanie s’étaient déjà détériorées à partir de 2017. Cette année-là, les Rohingyas, majoritairement musulmans, s’estimant persécutés, avaient fui par centaines de milliers vers le Bangladesh.
«Après la crise des Rohingyas en 2017, l’Occident a fait peser dans la relation des facteurs émotionnels disproportionnés. D’où un recul des investissements et surtout une désertion des touristes occidentaux qui ont pesé lourdement sur le bilan économique. Mme Aung San Suu Kyi s’est tournée vers les Chinois, les Japonais et les Indiens», rappelle Sophie Boisseau du Rocher.