«Les négociations avec l’Iran seront très strictes et il sera nécessaire d’inclure nos partenaires de la région dans l’accord nucléaire, y compris l’Arabie saoudite», a déclaré ce 29 janvier Emmanuel Macron lors d’un point de presse, relate la chaîne de télévision Al Arabiya.
Une volonté aussitôt balayée du revers de la main par Téhéran. «L’accord nucléaire est un accord international multilatéral ratifié par la résolution 2231 du Conseil de sécurité de l’Onu, qui n’est pas négociable et les parties à celui-ci sont claires et immuables», a déclaré le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Saeed Khatibzadeh, cité par des médias d’Etat.
«Satisfaire le client saoudien»
Une réponse de Téhéran qui était somme toute prévisible, compte tenu de la position iranienne, qui est de revenir dans l’accord tel qu’il a été signé en 2015 si les USA lèvent les sanctions, mais aussi des rapports antagonistes qu’entretiennent l’Iran et l’Arabie saoudite.
«C’est une proposition surprenante de la part de la France, car jusqu’ici dans le dossier nucléaire iranien, aucun des acteurs n’avait fait de telle suggestion. En tout cas, pas de cette manière», s’étonne au micro de Sputnik Pierre Berthelot, professeur de géopolitique spécialiste du Moyen-Orient et chercheur associé à l’Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE).
Si la pertinence de la proposition en vue d’arriver à un accord avec Téhéran est discutable, selon le chercheur, qui juge qu’«elle va crisper les Iraniens», il estime toutefois que le postulat français «obéit à une certaine logique» géopolitique:
«La France a des objectifs à travers cette proposition: satisfaire le client saoudien, qui est l’un des principaux consommateurs du savoir-faire français en matière d’armement.»
Paris écoule toujours des milliards de dollars d’équipement militaire à l’Arabie saoudite et ses alliés du Golfe.
Combler un vide laissé par Washington?
Le gouvernement français aurait donc à cœur de ne pas désobliger ces riches monarchies en raison des bénéfices qu’elles apportent à la France.
«Même si cette proposition n’est pas acceptée, et a priori ça semble peu probable, elle va en tout cas caresser dans le sens du poil ces monarchies du Golfe qui vont apprécier ce geste», juge le chercheur.
L’aspect clientéliste n’est pourtant pas la seule explication à cette proposition du chef d’État français, qui peut s’interpréter à plusieurs niveaux. Pierre Berthelot y voit aussi un moyen de se positionner et de combler en partie un vide géopolitique laissé par Washington.
«Cette position s’adresse aussi à l’alliance contre-révolutionnaire du Golfe, qui comprend les monarchies alliées à Riyad. À travers ce geste français, l’Arabie saoudite se sent valorisée en tant qu’acteur régional plein et entier de cette question du nucléaire. On voit dans le même temps que les Américains avec Biden sont plutôt critiques des monarchies du Golfe», ajoute-t-il.
Ces pays, qui entretenaient de fructueuses relations avec Donald Trump, voient d’un œil plus sceptique l’arrivée de son successeur, qui n’a pas manqué de leur jeter des piques durant sa campagne présidentielle, en particulier sur les droits de l’Homme.
«Sous l’Administration Biden-Harris, nous allons réévaluer nos relations avec le Royaume [d’Arabie saoudite, ndlr], mettre fin au soutien américain à la guerre de l’Arabie saoudite au Yémen, et nous assurer que l’Amérique ne mette pas ses valeurs à la porte pour vendre des armes ou acheter du pétrole», déclarait le candidat Biden en octobre dernier.
Sous Trump, qui ne cessait de faire pression sur Téhéran, les pays du Golfe n’avaient pas la même pression.
Faire monter les enchères avec Téhéran
La suspension temporaire de la livraison de chasseurs F-35 par Washington aux Émirats arabes unis relève de cette nouvelle donne sous l’Administration Biden, «même s’il se peut que cette suspension soit simplement un habillage et que la vente se fasse tout de même», analyse Pierre Berthelot.
«On sent chez Biden une volonté de rééquilibrage et donc, c’est plutôt bien vu de la France de pousser ses pions de ce point de vue. Et ce, même si ça peut ne pas être la meilleure stratégie du point de vue de la stabilité régionale», tempère notre interlocuteur revenant sur la proposition française.
Au-delà des bénéfices susmentionnés que la France espère en tirer, le chercheur associé de l’IPSE voit dans l’initiative de Paris un levier de négociation face à Téhéran dans le bras de fer qui s’annonce pour revenir dans l’accord nucléaire:
«C’est aussi une manière de faire monter les enchères, dans le cadre d’un processus qui s’annonce assez long. L’Iran aussi fait monter les enchères en augmentant son taux d’uranium enrichi à 20%, car le pays veut un accord en béton et pas un accord comme celui de 2015 avec des trous et des failles.»
Téhéran et les chancelleries occidentales se renvoient la balle depuis plusieurs semaines sur le dossier nucléaire. Le pays des mollahs reste jusqu’ici inflexible sur sa position: pas d’arrêt des activités nucléaires ni de retour aux conditions de l’accord de 2015 sans levée des sanctions. Dans le même temps, la nouvelle administration de Joe Biden s’est engagée à rejoindre l’accord, mais une fois que Téhéran aura à nouveau garanti le plein respect de ses conditions.