Le bras de fer continue entre Kaïs Saïed et son chef du gouvernement Hichem Mechichi, appuyé par le chef de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) sur le dernier remaniement ministériel. En effet, le chef de l’État, qui a dénoncé le non-respect des dispositions de la Constitution dans la nomination des 12 nouveaux ministres, refuse d’en recevoir certains soupçonnés selon lui de conflit d’intérêts dans des affaires.
C’est dans ce contexte que le président de l’ARP Rached Ghannouchi a attaqué frontalement le Président Saïed lors d’une intervention par visioconférence, affirmant que conformément à la Constitution, le rôle du chef de l’État dans la nomination du gouvernement «est symbolique».
«Le Président de la République refuse d’accepter la prestation de serment de la nouvelle équipe gouvernementale, rejetant ainsi tout le remaniement», affirme M.Ghannouchi qui souligne qu’«il croit avoir les prérogatives d’accepter certains ministres et d’en refuser d’autres».
Et d’ajouter que le régime politique tunisien «accorde un rôle symbolique au Président de la République, et non un rôle constitutif […]. De ce fait, la composition de l’exécutif relève strictement de la responsabilité du parti au pouvoir et du chef du gouvernement».
«Rien n’a été prouvé contre» ces ministres
Le chef de l’État fonde sa position sur l’article 89 de la Constitution qui stipule: «Le chef du gouvernement et les membres du gouvernement prêtent, devant le Président de la République, le serment suivant: "Je jure par Dieu Tout-Puissant d’œuvrer avec dévouement pour le bien de la Tunisie, de respecter sa Constitution et ses lois, de veiller à ses intérêts et de lui être loyal"».
Ainsi, selon M.Saïed, le fait que certains ministres sont soupçonnés de conflit d’intérêts rend leur serment caduc, ce qui lui confère le droit de refuser de les recevoir.
Or sur ce point, Rached Ghannouchi explique que les accusations lancées à l’adresse de certains nouveaux ministres ne sont accompagnées «d’aucune preuve», ajoutant que «quand on veut disqualifier une personne on l’accuse de corruption».
«La corruption est un jugement qui doit être rendu par la justice ou encore par le Parlement», rappelle-t-il, ponctuant que «rien n’a été prouvé contre ces personnes accusées, il s’agit de simples combines […]. Si nous laissons libre cours à ce genre d’accusations gratuites, plus aucune personne n’accepterait à l’avenir d’assumer une quelconque responsabilité».
La situation de blocage risque de durer sauf si le Président Saïed revient sur sa décision. En effet, ce problème d’interprétation de la Constitution devrait normalement être tranché par la Cour constitutionnelle. Or cette dernière n’est toujours pas installée bien que prévue par la Constitution adoptée en 2014.
La Constitution est-elle à l’origine du «blocage»?
La nouvelle Constitution tunisienne partage les pouvoirs entre le Président de la République, le chef du gouvernement et l’ARP représentée par son président, faisant ainsi du régime politique du pays une sorte de pyramide coupée au sommet et formée donc de trois têtes.
Le Dr Riadh Sidaoui, président du Centre arabe de recherches et d’analyses politiques et sociales de Genève, estime que ce partage des prérogatives qui nécessite à chaque fois un accord ou un compromis entre les trois responsables pour faire avancer un projet ou prendre des décisions a en réalité généré «un blocage» politique du pays.
Dans une intervention sur sa chaîne You Tube, le Dr Sidaoui explique que l’incapacité des autorités à apporter des réponses rapides aux problèmes économiques et sociaux du pays réside pour une grande partie dans «le système politique instauré par la Constitution post-révolution qui a généré un blocage complet du pays». La cause réside dans «le fait d’avoir dépouillé de manière insensée le Président de la République de certaines prérogatives, l’empêchant ainsi de pouvoir donner une direction au développement du pays». Et de conclure: «sur ce point, la Constitution devrait être amendée».