Au Maroc, la normalisation des relations avec Israël fait toujours des vagues. Parfois au sein même du gouvernement et du parti au pouvoir. Cet accord a poussé le Parti de la justice et du développement (PJD), au pouvoir depuis près de dix ans, à poser sa signature sur un texte qui va à l’encontre des positions que le parti a toujours défendues.
À ceux qui critiquent le PJD pour avoir signé l’accord avec l’État hébreu, le ministre marocain de l’Emploi, Mohamed Amekraz, a d’ailleurs répondu «qu’ils ne connaissent pas l’extrême importance du dossier du Sahara [occidental, ndlr] pour les Marocains. […] Ils ne savent pas ce que cela constitue pour eux et n’ont aucune idée de l’ampleur de la percée réalisée dans ce dossier à l’occasion de l’accord de paix signé avec Israël.»
Et ce après que le même ministre avait sévèrement critiqué le gouvernement et son chef Saad Dine El Otmani le 12 décembre pour avoir approuvé l’accord avec Israël. Il n’était d’ailleurs pas le seul à s’en prendre à cette normalisation. C’en était trop pour certains membres du parti au pouvoir: 10 individus dans les rangs du PJD ont claqué la porte jeudi 21 janvier.
Le PJD et sa base électorale ont toujours été contre le rapprochement avec Israël. La formation islamiste a même fait de ce refus un cheval de bataille pour rallier des électeurs. Le parti de gouvernement s’est donc retrouvé dans une fâcheuse position lorsqu’il a dû approuver cet accord décidé par le roi Mohamed VI sur fond de deal avec les USA sur le Sahara occidental.
La cause palestinienne toujours vivante pour les Marocains
D’autant que, lorsque le processus diplomatique a été engagé, les Marocains ont voulu descendre dans la rue à Rabat. Mais le gouvernement mené par le PJD a interdit tout rassemblement et à déployé un important dispositif policier pour s’assurer qu’il n’y ait pas de remous de ce côté-là.
Le ministre M. Nasser Bourita et le Conseiller à la sécurité nationale de l’État d’Israël, M. Meir Ben Shabbat, ont eu aujourd’hui un entretien téléphonique portant sur la création de groupes de travail pour mettre en place des accords de coopération dans de nombreux domaines. https://t.co/iz4oxPP3Lf
— Maroc Diplomatie 🇲🇦 (@MarocDiplomatie) January 29, 2021
Ces tentatives de mobilisation décrivent pourtant une réalité au Maroc: la cause palestinienne reste populaire pour une partie des populations musulmanes et arabisantes, même si ce soutien est difficilement quantifiable. Au point de devenir un argument politique de poids pour ceux qui s’opposent à cette normalisation? Pas selon Kader Abderrahim, auteur de Géopolitique du Maroc (Bibliomonde, 2018), qui intervient au micro de Sputnik:
«Pour le moment, nous n’avons même pas de contestation d’ampleur de la normalisation des relations avec Israël, ni au Maroc ni ailleurs dans le monde arabe. Il y a certes eu des manifestations, mais elles ont été vite interdites.»
«Et je ne crois pas que ce soit le prétexte ou la raison qu’une partie des islamistes du PJD pourraient invoquer pour contester les choix qui sont faits dans la reconnaissance d’Israël», ajoute-t-il.
S’opposer à la normalisation, un coup d’épée dans l’eau?
Notre interlocuteur rappelle que, dans le cas du Maroc, cette normalisation n’est pas une révolution. Il y a déjà eu des relations diplomatiques entre les deux pays après les accords d’Oslo, qui avaient été rompus après les opérations israéliennes contre Gaza. Il est également à rappeler que la communauté juive présente au Maroc depuis l'Antiquité est la plus importante d'Afrique du Nord.
«Les islamistes du PJD qui, au Maroc, contestent cette normalisation le font essentiellement pour des raisons électoralistes, afin de ne pas être coupés de leur électorat toujours favorable à la cause palestinienne. Notamment en vue des élections législatives qui se profilent au mois de juin cette année», explique le spécialiste du Maghreb.
Et de rappeler que les islamistes qui ont remporté par deux fois les élections législatives «étaient jusqu’à présent populaires».
Verrouillage politique
Kader Abderrahim juge que, hors visées électoralistes, ce combat n’aurait aucun avenir dans au Maroc et dans les pays ayant normalisé leurs relations avec Israël. Au moins dans les circonstances actuelles. Et ce, en grande partie à cause du verrouillage politique au sein du royaume, en particulier sur les questions internationales. «Il n’y a pas de consultation», assène-t-il. Le spécialiste rappelle que le Premier ministre PJD, Saad Eddine El Othmani, «a toujours été foncièrement contre ce processus». Pourtant, il a approuvé l’accord solennellement.
D’autant que ce dernier contenait une avancée majeure pour le Maroc: la reconnaissance de sa souveraineté sur le Sahara occidental par les États-Unis. Un élément de plus qui fait que la cause palestinienne est reléguée au second plan politiquement, même pour le PJD.
«Concernant le Sahara occidental, le débat diffère même s’il est connexe. C’est une cause cruciale pour les Marocains. Là encore, on ne peut pas faire passer la question palestinienne devant les intérêts nationaux marocains», conclut le géopolitologue.