En un demi-siècle, la Tunisie moderne et indépendante a été sculptée par six événements, aussi déterminants que les franchissements par gros temps des mers houleuses. Des journées tout aussi sanglantes et tragiques que glorieuses, du moins pour les protagonistes qui les ont provoquées et en ont payé le prix.
De la fondation…
D’abord la date fondatrice d’une Tunisie enfin sur le chemin de sa délivrance du joug colonial en ce 18 janvier 1952. Les instances d’un mouvement de libération déjà ancien et bien implanté depuis le début du siècle décident de prendre les armes et le maquis pour contraindre la puissance coloniale à mettre fin à un protectorat imposé depuis 1881. C’est à présent un jour férié qui commémore ce que les Tunisiens appellent simplement «l’anniversaire de la Révolution».
Pendant longtemps après l’indépendance, les mois de janvier se sont déroulés plus ou moins calmement, dans un pays où la stature d’un Bourguiba avait étendu le règne d’une dictature «soft», qui ne fronçait les sourcils que lors d’une contestation estudiantine et juvénile trop impatiente de voir la Tunisie entrer dans l’ère de la justice et de l’égalité entre les citoyens.
C’est ainsi qu’un autre jour de janvier secoue le pays, avec la déclaration de la première grève générale de l’histoire de la Tunisie indépendante. Ce jeudi noir du 26 janvier 1978 a été un véritable tournant et l’annonce d’un crépuscule pour le régime fondé et animé par le père de l’indépendance.
#Tunisie : le 26 janvier 1978, la mort de nombreux #manifestants lors d’un «#jeudi_noir». Le blog de @l_ribadeaudumas https://t.co/5fYNPEy8ge pic.twitter.com/mBf5SYPniW
— GéopolisAfrique (@GeopolisAfrique) January 26, 2018
Deux autres journées de janvier ont achevé de ternir puis de paralyser l’action et l’autorité de Bourguiba. Le 26 janvier 1980, des troupes de rebelles armés et entraînés par la Libye et les services secrets algériens ont pris d’assaut la ville de Gafsa, puis du 1er au 6 janvier 1984, les émeutes du pain sont parties du sud-ouest avant de s’étendre à tout le pays.
Il y a 40 ans, l’Affaire de Gafsa (26-27 janvier 1980), de triste mémoire! https://t.co/UWklpKpjPO #Leaders_Tunisie
— Nadia chaabane (@nadiachaabane) January 24, 2020
En moins de dix ans, cet homme, dont la stature est fortement érodée, allait être contraint de se retirer au profit d’un général de l’armée, Ben Ali, nommé quelques mois auparavant Premier ministre. C’est à lui désormais de subir les «coups de janvier».
… À la révolution
D’abord le 5 janvier 2008, on assiste à un soulèvement de toutes les localités minières dans les régions de Gafsa, Redeyef, Metlaoui, Mdhila, Moularès, etc. dont les effets persistent encore jusqu’à aujourd’hui. C’est en effet la violence de ces événements qui a affaibli le régime de Ben Ali. Et c’est d’ailleurs un 14 janvier, trois ans après, que cet homme a été poussé par l’émeute populaire à abandonner le pouvoir et à fuir le pays.
Nombreux sont ceux qui expliquent le bouillonnement des mois de janvier par le rythme de vie des Tunisiens qui, pour rien au monde, ne se laissent détourner des jouissances estivales pour s’occuper des choses sérieuses. Puis, une fois les poches vides, de retour au travail, ils retrouvent leur esprit critique et leur résistance aux contraintes de la vie dure et c’est ainsi qu’ils s’en prennent aux institutions de la coercition, à l’État et à l’ordre.
L’effet Janus
Mais, au lieu de chercher à expliquer l’effet du Tunisien sur le mois de janvier, serait-il peut-être plus judicieux de chercher l’effet de janvier sur le Tunisien?
Janus est composé en grande partie par le Chaos, l'indistinct et l’informe dont il réussit péniblement à se libérer pour faire apparaître les quatre éléments qui constituent le monde et la vie: l’air, l’eau, la tourbe et le feu. C’est ainsi qu’il érige et abolit, fait vivre et fait mourir, assoiffe et désaltère, incendie et éteint. Le Tunisien et la Tunisienne l’ont-ils si parfaitement compris?