Ici, au sud de la Tunisie, commence l’un des plus vastes déserts du monde, le Sahara. Il déploie sa sèche immensité sur toute la largeur de l’Afrique, de l’Égypte à la Mauritanie, ne concédant à la vie que le ruban de la vallée du Nil et, ça et là, de miraculeuses oasis ou de dangereux mirages. Soudain, le réveil fracassant d’un monstre que le pays croyait terrassé –du moins apprivoisé en attendant que de lui-même il disparaisse– est venu briser cette paix apparente…
Deux mêmes localités pour deux gouvernorats
Rien, nul mur ou montagne, nul ravin ou canyon, ne partage cette contrée dénudée entre les deux localités de Douz et de Béni Khédach, si ce n’est une frontière invisible, réelle seulement sur les papiers des administrations qui renvoient ces deux localités voisines l’une et l’autre à deux gouvernorats (préfectures) limitrophes.
Douz
— Moncef ARFA (@MoncefArfa) January 22, 2017
Ville en Tunisie
Douz est une ville du sud de la Tunisie connue comme la « porte du Sahara ». le + importante de la région. pic.twitter.com/iOfGG7Ni5I
Longtemps, d’ailleurs, les gens ignoraient ce découpage, s’en étonnaient ou s’en moquaient lorsqu’ils se voyaient tenus de solliciter des guichets différents pour retirer un acte de naissance ou déposer une demande de passeport. À part ce que l’on considérait comme les lubies d’une administration trop inutilement tatillonne, la vie glissait paisiblement dans la fraîcheur ombragée des palmiers ou à travers les pistes bordées de dunes. Une vie qui rassemblait dans une frénésie entreprenante et active une population apparemment homogène, solidaire, qui cultivait avec art et espoir ses dattiers, qui s’adonnait au commerce ou à la discrète contrebande de menus produits importés des deux pays voisins, la Libye et l’Algérie.
la contrebande:qu’il soit avec la (Libye à l’est ou l’Algérie à l’ouest), coûte à la Tunisie chaque année au moins 1,2 milliard de dinars, pic.twitter.com/dV3eQtDhIO
— Saladin-Waghef (@citoyenfiere) December 8, 2016
Depuis l’indépendance en 1956, la pureté tribale a connu quelque altération du fait de l’installation de tel instituteur ou tel policier originaire du nord ou du littoral. Célibataires, il arrivait que ces jeunes fonctionnaires séduisent un sage patriarche ou un père prévoyant qui offrait en justes noces sa fille à «l’étranger». Sinon l’endogamie restait de rigueur, surtout quand la promise était un diamant de beauté, d’intelligence et d’ardeur, selon l’adage toujours répandu: «Notre bien ne profitera pas à un autre que nous.»
Au nom de l’honneur
Car l’esprit de la tribu n’a jamais cessé de circuler parmi les bruits et les vernis de la modernité de plus en plus envahissante, avec son asphalte et ses puissantes voitures, ses banques et hôtels de luxe pour touristes européens, où enfants –filles et garçons– sont envoyés dans les universités des grandes villes du pays ou dans les métropoles du monde. Une valeur cardinale demeure, seul soutien encore inébranlable de cet esprit tribal: l’honneur!
C’est ainsi qu’au cours du week-end du 13 décembre, une bataille rangée des plus violentes a éclaté au lieu-dit «La source chaude». Elle opposait les tribus des Mrazig, installée dans et autour de Douz, et des Hwaya (Béni Khédach) –dont les territoires respectifs ne sont délimités que sur les registres abstraits du découpage administratif. Bilan: deux morts et plus de 70 blessés. Les deux belligérants ont usé de toutes sortes d’armes, gourdins, armes blanches et même des fusils de chasse… Escortés de leurs fameux sloughis, ces chiens de la race autochtone dressés pour ne jamais lâcher leur proie, ils hurlaient le mot d’ordre du démon tribal: Ô notre terre (ardhna)! Ô l’honneur de nos familles (‘ardhna)!
Et dire que Habib Bourguiba, fondateur de l’État moderne après la décolonisation, s’était enorgueilli (trop tôt sans doute) d’avoir réussi à éradiquer le Démon numide qui, avant la conquête islamique de l’Afrique du Nord, rendait impossible la cohésion des habitants et les livrait, «poussière d’individus» comme il disait, à l’impitoyable domination romaine.