Il faut un peu moins d’une heure depuis Tunis pour rejoindre cet ancien village devenu aujourd’hui une ville moyenne. Tebourba a grandi, certainement trop vite pour les urbanistes et l’administration tunisienne, les infrastructures en témoignent.
Quelques heures de pluie ont formé, dans l’asphalte à moitié rongé, d’immenses flaques. La route qui mène au quartier de Khalij Jaleede a des allures de piste boueuse, bordée par un fossé rempli d’eau. On trouve ici des déchets, là des restes de nourriture.
Dans ce secteur situé à deux pas du centre-ville, les évacuations des cuisines et des salles de bain se prolongent jusque dans la rue par un tuyau d’où s’écoule un liquide mousseux. Kaïs Missaoui, un habitant du quartier, a le sentiment d’avoir été abandonné, explique-t-il à Sputnik.
Il a toujours vécu dans cette partie de Tebourba. Il a 33 ans et n’a jamais vu l’ombre d’un changement.
«Depuis les années 1970, on a le même système d’assainissement: un trou de deux mètres sur trois. […] Il faut le vider presque chaque mois. Ça me coûte 50 dinars (environ 15 euros) par camion.»
Ce réservoir sert à absorber les eaux usées des toilettes. Le reste est évacué dans le jardin, au pied d’un figuier mal en point ou encore d’un olivier qui a perdu presque toutes ses feuilles.
«L’arbre, tu lui donnes des eaux usées, il va te donner des fruits usés et surtout, c’est un nid à maladies. Personnellement, ça me dégoûte. Et si seulement cet olivier était resté en vie mais regardez, il est mort», se désole Kaïs.
Un danger pour l’environnement
Et tout son jardin est ainsi. «On avait un potager, mais c’est fini», déplore ce fonctionnaire, père d’un bébé de douze mois. Une petite dame souriante, djellaba léopard et voile sixties, sort de sa maison. «Ce sont les gens de la municipalité, c’est pour les égouts?», demande-t-elle.
C’est la mère de Kaïs. Lassée d’attendre le raccordement de sa maison au tout-à-l’égout, Jamila, 55 ans, est un peu déçue en s’apercevant que sa visiteuse n’est pas le fonctionnaire tant espéré.
«On paye la taxe municipale, mais sans aucun service en contrepartie», maugrée-t-elle.
Une fois par mois, donc, des camions viennent vider les cuves des habitants. Leur contenu est déversé quelques centaines de mètres plus loin, dans ce que les gens de Khalij Jaleede appellent le «fossé». Cette tranchée remplie d’eau sale traverse des terres agricoles.
Et un peu plus loin, c’est la Medjerda qui coule vers la Méditerranée et capte une partie de la pollution issue de ces zones sans assainissement. Ainsi, chaque année, le fleuve, qui s’écoule le long de 350 kilomètres en Tunisie, reçoit «37 millions de mètres cubes d’eaux usées urbaines et industrielles», selon une récente étude du ministère tunisien de l’Environnement. Les rejets urbains représentent 87% du total et ont des conséquences directes pour les habitants de ce quartier de Tebourba. L’été, «ça devient insupportable», se plaint Kaïs.
«On souffre beaucoup. En cas d’inondations, de retard du camion, on a des remontées dans les toilettes. On subit aussi les mauvaises odeurs, les moustiques», dénonce-t-il.
Des réclamations en vain
La situation est encore pire dans une rue adjacente où coule un ruisseau d’eau brune. Sur les bords, la terre est devenue noir de jais, une teinte qui témoigne de rejets constants au milieu de la chaussée.
«Les responsables de l’État connaissent notre situation. Ils viennent voir et puis c’est tout.»
Pour preuve, l’un d’eux va chercher une pochette remplie de documents. Des tableaux portant des signatures, des lettres… ce sont des pétitions et des courriers envoyés aux autorités, à la municipalité, au chef de gouvernement, au gouverneur de la région, à l’ONAS (Office national de l’assainissement). La dernière fois que le quartier s’est mobilisé, c’était au mois de juin 2020.
«On a envoyé des lettres à tout le monde et jusqu’à présent, on n’a reçu aucune réponse», clament-ils.
À la sortie de Tebourba se trouve le pont-barrage d’El Battan, sur le fleuve Medjerda. Un paysage bucolique et hors du temps.
Ici, la pollution est invisible. Mais les analyses effectuées sur le cours d’eau montrent régulièrement des dépassements des standards tunisiens et internationaux.
La Medjerda et son bassin fournissent l’essentiel des ressources en eau de surface en Tunisie. Le fleuve irrigue ainsi 80.000 hectares de terres agricoles et approvisionne plus d’un tiers de la population en eau potable. Aujourd’hui, il charrie un poison aux effets potentiellement dévastateurs pour l’environnement, l’agriculture et ceux qui habitent à proximité. Jusqu’à présent, aucune étude de terrain n’a été effectuée pour établir un lien entre cette pollution et la santé humaine.