Élites françaises: le grand remplacement des gouvernants a-t-il sonné?

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Le gouvernement a été plus d’une fois attaqué pour sa gestion de l'épidémie. L’impréparation n’expliquerait pas tout. Pour l’historien Éric Anceau, interrogé par Sputnik, le peuple français manifeste une nouvelle fois sa désapprobation historique à l’égard des élites. L’occasion de s’interroger sur un éventuel grand remplacement par le haut.

Il est des mots auxquels l’actualité donne une nouvelle jeunesse. Le terme «défiance» s’est immiscé depuis peu dans tous les titres de journaux et s’impose à la une des médias. Particulièrement depuis le début de la crise du Covid-19. Le gouvernement ferait face à une «défiance» sans précédent de la part du peuple. «Nullité», «incompétence», «amateurisme» … les qualificatifs couronnent chacune des décisions prises depuis mars 2020. L’exécutif le mérite-t-il ou le peuple français a-t-il la critique un peu trop facile à l’égard de ses gouvernants? Ceux qu’il est convenu d’appeler les «élites».

«Sputnik donne la parole» reçoit Éric Anceau, historien spécialiste du XIXe siècle, auteur de l’ouvrage Les élites françaises, des Lumières au grand confinement (éd. Passés composés).

Pour l’historien Éric Anceau, si tous les dirigeants internationaux ont été critiqués pour la gestion de la pandémie, «les dirigeants français se sont particulièrement démarqués dans l’impopularité». Les «gros problèmes de logistique des vaccins» n’auraient fait qu’accentuer un mépris tenace du peuple français à l’égard du pouvoir. L’historien convoque dans sa démonstration le sondage Yougov de mai 2020 qui classait les Français parmi «les champions européens de la défiance envers leurs élites dirigeantes». De quoi soupçonner l’existence d’un mal plus profond.

Une radiographie des élites françaises

Il y a, en l’occurrence, «une mauvaise gestion» avérée de nos gouvernants de la crise sanitaire qui légitime «l’exaspération populaire» selon Éric Anceau. Ce ressentiment s’appuie sur les erreurs enchaînées depuis mars 2020 par le pouvoir exécutif. L’inaction du gouvernement au départ de l’épidémie, avec notamment le maintien des municipales, une inertie confirmée par Agnès Buzyn au journal Le Monde. Mais aussi les déclarations incohérentes de plusieurs ministres sur l’efficacité du port du masque ou encore la gestion des tests de dépistage.

​Pour l’historien, la formation des élites et leur «consanguinité» intellectuelle n’est pas anodine dans cette crise de confiance. Le «recours à un pluriel» englobant pour désigner les gouvernants est en soi révélateur selon notre interlocuteur. Et à certains moments de l’histoire «ces élites n’en composent plus qu’une».

«Les théoriciens américains parlent même de la naissance actuelle d’une super-élite! ajoute Éric Anceau. C’est un peu le phénomène auquel on assiste aujourd’hui en France avec une interpénétration des élites politiques, administratives et économiques.»

L’École nationale d’administration (ENA), leur grand moule, aurait également manqué à sa mission. Censée «former une élite de la haute fonction publique» afin d’associer sa compétence technocratique au pouvoir politique, l’ENA aurait dévié de sa trajectoire depuis les années 1970. Les hauts fonctionnaires ont grignoté «l’espace politique» et, plus récemment, «les grandes entreprises économiques». Ce pantouflage peut avoir des vertus, mais il nourrit également les suspicions selon Éric Anceau.

​L’ENA se retrouve sur la sellette. En avril 2019, le Président de la République déclarait vouloir la supprimer. Tout en ajoutant qu’elle n’était pas «mauvaise en soi, au contraire». Dans la foulée, Frédéric Thiriez était désigné pour mener à bien cette réforme. Pourtant, rappelle Éric Anceau, Emmanuel Macron doit être crédité d’avoir mis en avant, dans son ouvrage Révolution, «la nécessité de changer les élites», dont «cet ancien énarque fait lui-même partie». De même, le rapport Thiriez, déposé auprès du Premier ministre d’alors, Édouard Philippe, présente des «propositions intéressantes». S’il est faux de dire que «rien n’a été fait» pour renouveler les élites, «force est de constater que, au bout de trois ans et demi de présidence», les résultats se font attendre.

De la possibilité du renouvellement des élites françaises

Autre grief entretenu à l’égard des élites, peut-être le plus important: leur éloignement de la défense des intérêts nationaux.

Arnaud Montebourg - Sputnik Afrique
Montebourg, candidat du «bloc populiste» en 2022?
Une perte «du sens de l’État», de «la nation française» et de «l’intérêt général» qui expliquerait pour une grande part, selon Éric Anceau, «la montée des populismes». Or l’un des fondements du courant populiste est bien l’antiélitisme. Le ressort en étant un appel plus direct et vertical à la souveraineté populaire. Un mouvement devenu aujourd’hui international, incarné par l’accession au pouvoir de Donald Trump aux États-Unis ou de Boris Johnson au Royaume-Uni. Un populisme qui n’aboutit pas en France malgré «des racines antiélitistes pourtant bien plus profondes qu’ailleurs».

«En résumé, nos élites au pouvoir sont mondialisées et partisanes de l’intégration européenne, rappelle Éric Anceau. Mais la solidité de nos institutions, en particulier de la Cinquième République, de même que le succès du Rassemblement national qui stérilise une partie de l’électorat, expliquent l’impossibilité du populisme à trouver une traduction électorale.»

Parfois accusés de ne rechercher que leurs intérêts personnels, les élites françaises seraient en réalité bien plus composites que leur réputation veut bien le faire croire, affirme notre interlocuteur. Il y aurait une «forme de patriotisme» chez certaines d’entre elles qui pourrait dans l’avenir rencontrer «les attentes populaires». Et l’historien de rappeler une constante historique: l’appui indispensable pour tout mouvement populaire, même le plus antiélitiste, d’une élite nécessaire à la transition. «La plupart des Gilets jaunes étaient d’ailleurs en quête de représentants qui puissent incarner leur message politique», ajoute-t-il, tout en rappelant l’appel du porte-parole du mouvement contestataire à l’installation du général de Villiers à Matignon.

​«Plus souverainiste», revenue de la «mondialisation heureuse» glorifiée par Alain Minc, cette nouvelle élite pourrait, par un verrouillage progressif des «leviers de pouvoir», prendre la place des élites décriées aujourd’hui. Une «circulation des élites» théorisée il y a un siècle par les penseurs élitaires italiens, notamment Vilfredo Pareto. Ce dernier aimait à rappeler que «l’histoire est un cimetière d’élites».  

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