Passé le 20 janvier, la vie pourrait être difficile pour les individus qui ont collaboré de près ou de loin avec Donald Trump durant ses campagnes et sa présidence.
«Vous voulez vous assurer que le plus puissant magazine économique du monde vous considère comme une potentielle source de désinformation? Embauchez ces personnes [cinq anciens collaborateurs de Donald Trump, ndlr]», écrit Randall Lane, directeur de publication de Forbes, dans une tribune à charge contre les collaborateurs de Donald Trump durant son mandat.
Dans le viseur du géant média américain: Sean Spicer, Kellyanne Elizabeth Conway, Sarah Huckabee Sanders, Stephanie Grisham et Kayleigh McEnany, tous anciens conseillers de Donald Trump qui, pour Randall Lane, se sont rendus coupables d'avoir aidé à diffuser les «mensonges» du Président américain pendant quatre ans. D’autres pourraient suivre.
Intérêts privés plus forts que la justice américaine?
Au mois de novembre 2020, Sputnik mettait déjà en lumière le «Trump accountability project», un site qui réalise des listes d’individus «qui ont élu Trump, qui ont travaillé dans son administration ou qui l’ont financé». Le but? Ne pas les laisser «profiter de leur expérience» au sein de cette administration, les empêcher de trouver du travail.
(2/4) A critical part of making sure the nation never finds itself in this position again is to make sure those members of the Trump administration responsible for loosening the guardrails of our democracy are not rewarded with book deals, TV contracts, or six-figure salaries...
— Trump Accountability Project (@trumpaccproject) November 12, 2020
Pour que la nation ne se retrouve plus jamais dans cette situation, il est essentiel de veiller à ce que les membres de l'administration Trump chargés d’affaiblir les garde-fous de notre démocratie ne soient pas récompensés par des contrats de livres, de télévision ou des salaires à six chiffres...
Un phénomène de censure et d’ostracisation qui prend de l’ampleur à mesure que les passions se déchaînent outre-Atlantique et que l'avocat et vice-président de France-Amériques Jean-Claude Beaujour trouve particulièrement inquiétant, et ce indépendamment des affiliations politiques de tout un chacun.
«Les collaborateurs du Président sont protégés dans l’exercice de leurs fonctions. Un membre de cabinet ou un fonctionnaire, avant de servir un Président, est chargé de servir une administration dans le respect de la Constitution et de la loi, et ce à tous les niveaux de fonctions. Qu’il s’agisse du Président ou du simple fonctionnaire», explique-t-il au micro de Sputnik France.
Il y a donc pour lui un premier vice de procédure dans le fait que des collaborateurs d’une administration donnée soient sanctionnés pour les déboires du Président de cette administration.
«Il n’appartient pas à une autorité privée de bannir telle ou telle personne»
Quand bien même ces personnes seraient responsables de méfaits durant leurs fonctions dans cette administration, Jean-Claude Beaujour rappelle:
«Sur le plan juridique, si les collaborateurs de Donald Trump sont allés au-delà de ce que prévoient leurs fonctions, ou ont exécuté des ordres illicites, il appartiendrait au département de la Justice d’engager les poursuites. Elles doivent se retrouver devant un tribunal et doivent pouvoir se défendre. Et c’est au tribunal de rendre sa décision.»
Dans le cas contraire, c’est la démocratie même des États-Unis et son système judiciaire qui se seraient dans une impasse: «Je trouverais dangereux qu’un journal, ou qu’un quelconque intérêt privé, décide de mener la vie dure à un individu parce qu’il aurait participé au cabinet de tel ou tel responsable politique», juge l’avocat international.
«D’une part, car cela s’apparenterait à une forme de justice privée sans aucune garantie des droits fondamentaux des personnes concernées. D’autre part, cela porterait atteinte à la liberté des hommes et des femmes de ce pays de travailler pour qui leur semblerait bon. Au nom de la liberté individuelle, quels que soient les défauts de Donald Trump, il n’est pas normal qu’on censure ceux qui travaillent avec lui ou n’importe quelle autre personnalité publique», explique-t-il.
Selon lui, ce sont des principes basiques du fonctionnement de la société américaine qui sont ici remis en cause:
«Il n’appartient pas à une autorité privée de bannir telle ou telle personne. Ce sont des comportements subjectifs et discrétionnaires qui ne sont pas une bonne chose en démocratie. Cela entraverait à un principe du droit américain qui existe aussi en France: le principe de non-discrimination et d’égalité de traitement. Ces règles sont les seules capables d’être le ciment de la société américaine. Tomber dans l’arbitraire serait ce qu’il y a de plus dangereux».
D’autant que, pour Jean-Claude Beaujour, «le futur Président Biden ne peut pas empêcher les entreprises d’avoir le comportement qu’elles ont».
Le département de la Justice a donc un rôle crucial à jouer dans le cas où des litiges de ce type venaient à être portés devant ses tribunaux.
«Sur le plan juridique, si les entreprises prenaient des mesures qui violeraient le principe de non-discrimination et d’égalité de traitement, elles se heurteraient à des poursuites judiciaires.»
Pour Me Beaujour, il est d’autant plus important de laisser la justice faire son travail dans ces situations que l’Amérique est «plus polarisée que jamais». Les passions sont élevées et Joe Biden qui s’est donné comme mission première de panser les plaies qui déchirent l’Amérique a une responsabilité toute particulière dans ce contexte, rappelle-t-il.
«Le futur Président Biden a tout intérêt à appeler à l’apaisement, et pousser pour mener la vie dure à certains individus qui auraient collaboré avec Donald Trump viendrait polluer un peu plus le paysage politique aux États-Unis», conclut Jean-Claude Beaujour.