La France commémore un triste anniversaire.
Le 7 janvier 2015, deux djihadistes, les frères Chérif et Saïd Kouachi, pénètrent armés dans les locaux du journal satirique Charlie Hebdo, déjà menacé à plusieurs reprises pour avoir publié des caricatures du prophète Mahomet. L’attaque, en pleine conférence de rédaction, coûte la vie à douze personnes: dix journalistes et deux policiers. Le 9 janvier, au terme d’une traque de deux jours, les terroristes sont abattus, ainsi que leur complice Amedy Coulibaly, qui fit cinq victimes, dont quatre lors de la prise d’otage de l’Hyper Cacher.
L’émoi est international: à travers Charlie, c’est la liberté d’expression qui est visée. Les 10 et 11 janvier, des marches blanches sont organisées partout en France en hommage aux victimes. Celle de Paris rassemble plus de 1,5 million de personnes, auxquels se joignent des dirigeants politiques du monde entier. L’esprit #JeSuisCharlie s’impose, au point de masquer la désignation claire de l’ennemi islamiste sur le sol français. L’État islamique*, qui a proclamé son califat en juin 2014, forme de nombreux combattants en provenance d’Occident. En Europe, la vague terroriste ne fait que commencer.
Djihadisme: un ennemi affaibli, mais toujours menaçant
Six ans après, la France et ses alliés luttent toujours contre le terrorisme, qui frappe encore régulièrement le sol européen. La situation a pourtant évolué, considère le criminologue Xavier Raufer, spécialiste des questions liées au terrorisme. Aujourd’hui, les attentats de grande ampleur sont plus rares, car l’organisation a été mise à mal.
«Le terrorisme qui nous a frappés lors des attentats de Charlie hebdo, du Bataclan et par la suite n’a pas évolué. Il a simplement perdu sa base. Les concepteurs de ces attentats évoluaient à l’époque dans une base située entre l’Irak et la Syrie, qui a été anéantie depuis par la Russie», précise Xavier Raufer, auteur de L’Atlas de l’islam radical (CNRS Éditions).
Cela n’a pas pour autant signé la fin de l’État islamique* qui, bien que moribond, est toujours lié de près ou de loin à certains groupes ou terroristes isolés agissant sur le sol européen ou au Sahel. Xavier Raufer estime ainsi que «les brigades terroristes ont été anéanties les unes après les autres et ce terrorisme a perdu son centre directeur et sa capacité d’organiser des attentats.»
La machine antiterroriste ayant dans un premier temps peiné à se mettre en place, les djihadistes purent profiter de la faiblesse européenne. C’est ainsi que Xavier Raufer explique la vague d’attentats européens qui a suivi ceux de Charlie.
«L’efficacité de l’Europe a été moyenne au lendemain de Charlie Hebdo: en témoigne la vague d’attentat de Paris à Bruxelles, en passant par Barcelone. Au moins pendant un an et demi, il y a eu des failles dans la détection des actes terroristes et des bains de sang n’ont pas été évités.»
Ainsi, la vaste opération terroriste qui a suivi les attentats de Charlie Hebdo entre la France et la Belgique, de novembre 2015 à mars 2016, a-t-elle impliqué «une centaine d’hommes», incluant de surcroît d’innombrables voyages entre le Moyen-Orient et l’Europe, nous précise, bien informé, le criminologue. Or, désormais, de telles opérations ne sont plus possibles: «les signes avant-coureurs de telles opérations ont été détectés [par les services de sécurité, ndlr].»
Pourtant, si les services secrets européens ont joué un rôle non négligeable dans cette lutte contre le terrorisme, apprenant en effet «à mieux détecter» les menaces, l’affaiblissement de Daech* aurait avant tout pour cause, insiste notre interlocuteur, le combat mené par la Russie, à la source.
Le terrorisme s’adapte
Les actualités récentes en France –l’attentat de la basilique Notre-Dame de Nice et celui contre Samuel Paty en octobre– indiquent pourtant que la racine du mal perdure et que la France est toujours ciblée pour les mêmes raisons qu’en 2015.
Xavier Raufer se veut toutefois optimiste. Bien sûr, si Daech* peut encore compter sur les réseaux qu’elle a su «tisser habilement autour du globe, notamment en Europe», sa capacité de frapper serait «limitée», selon le criminologue. Ne faut-il alors voir dans les derniers attentats, comme dans d’autres attaques au couteau qui ont défrayé la chronique, que des actes isolés? Ce serait aussi hasardeux que dangereux, selon Xavier Raufer:
«Aujourd’hui, nous ne sommes pas à l’abri d’actes menés par des individus, mais ce ne sont jamais des loups solitaires pour autant. “Loup solitaire” est le mot inventé lorsque l’on n’a pas réussi à détecter ce qu’il y a derrière, c’est une excuse de service de renseignement en échec», tance-t-il.
Les djihadistes ne sont jamais totalement seuls et s’appuient donc sur de nouveaux réseaux, mosquées, associations, cercle privé ou réseaux sociaux, beaucoup plus difficiles à détecter et incriminer: «on ne supprime pas un réseau social», constate notre interlocuteur.
La victoire contre le djihadisme «prendra du temps»
Après six ans de lutte intensive, Xavier Raufer souligne toutefois les progrès dans cette lutte de longue haleine. Le bilan parle d’ailleurs de lui-même: les attentats sont moins nombreux et les nouveaux modes opératoires font nettement moins de victimes. Ensuite, les services de lutte antiterroriste ont eux aussi considérablement évolué, même s’ils ont mis du du temps à rattraper leur lenteur au démarrage initiale.
«Les choses vont dans le bon sens, mais ne cavalent pas. Il a fallu sept ou huit ans aux services de renseignement pour concevoir l’hybride entre le terrorisme et le crime, à l’instar de Mohammed Merah. Le danger, depuis longtemps, n’est plus le grand chef salafiste à la Ben Laden, mais cet hybride dont Mohammed Merah fut l’un des premiers spécimens», avertit Xavier Raufer.
Celui-ci estime pourtant que les terroristes sont condamnés à disparaître en Europe, mais prévient toutefois qu’une telle victoire définitive «prendra du temps», tant la volonté d’agir des djihadistes n’est «pas dissipée».
Ce jeudi 7 janvier 2021, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et Anne Hidalgo, maire de Paris, ont rendu hommage aux victimes pour la première fois depuis les condamnations prononcées mi-décembre –qui vont de quatre ans de prison à la perpétuité–, contre treize personnes coupables d’avoir assisté les auteurs de l’attentat contre Charlie Hebdo.
Le temps passe, l’émotion reste intacte.
— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) January 7, 2021
Hommage aux victimes de l’attentat de Charlie Hebdo, tombées sous les tirs de la barbarie islamiste.
Pour leurs familles, pour nos valeurs, pour notre liberté, pour la France : n’oublions jamais. pic.twitter.com/kCIQyaELVv
«Le temps passe, l’émotion reste intacte», a ainsi tweeté le ministre de l’Intérieur après la cérémonie. Le temps passe et la lutte continue.
*L’État islamique (Daech) est une organisation terroriste interdite en Russie