Pourquoi l’armée française reste au Mali malgré son échec stratégique et les pertes humaines

© AFP 2024 DAPHNE BENOITMali, opération Barkhane
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Accusée de bavure envers des civils maliens, l’armée française nie en bloc, évoquant l’élimination de djihadistes. Pour Nicolas Normand, ex-ambassadeur de France au Mali, si la contestation de Barkhane est compréhensible, cette force reste indispensable à l’intégrité du pays.

La polémique n’en finit plus d’enfler. L’État-Major des Armées s’est donc exprimé ce 7 janvier sur l’attaque aérienne de Bounti, dans le centre du Mali, menée le 3 janvier par deux Mirage 2000 et un drone Reaper, qui ont «neutralisé une trentaine de GAT».

Lignes rouges –Jean-Baptiste Mendes reçoit Nicolas Normand, ancien ambassadeur de France au Mali, Congo, Sénégal, Gambie. Il est l’auteur du «Grand livre de l’Afrique» (Éd. Eyrolles, 2019).

Ce groupe armé terroriste, la katiba Serma, est affilié au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, alliance djihadiste elle-même affiliée à Al-Qaïda*. L’analyse de la zone avant et après l’impact des trois bombes ainsi que les renseignements obtenus permettent «d’exclure la possibilité d’un dommage collatéral», selon le communiqué qui s’insurge contre toute allégation qui relèverait de la «désinformation».

Par ailleurs, le ministère des Armées a annoncé l’ouverture d’une enquête «pour mieux comprendre ce qui s’est passé». La Défense malienne avait déjà diffusé une version similaire des faits selon lesquels «l’environnement observé n’a montré ni scène de mariage, ni enfants ou femmes.»

Barkhane, une opération contestée, au maigre bilan

Si les résultats des enquêtes successives venaient à blanchir Barkhane de tout soupçon, ces «allégations» tenues par des villageois et une association laisseront toutefois des traces dans l’opinion publique malienne, dont une partie significative est déjà hostile à l’armée française.

Opération barkhane : GCP au Mali - Sputnik Afrique
«Un échec stratégique»: le Mali, un nouvel Afghanistan pour l’armée française?
Si les autorités, l’armée et les principaux responsables politiques maliens «tiennent énormément à la présence de Barkhane», selon l’ambassadeur Nicolas Normand, en poste à Bamako de 2002 à 2006, certains Maliens, opposés à l’opération française, «ressentent Barkhane comme une armée d’occupation». L’ancien diplomate dit le comprendre, vu le passé colonial, mais surtout en raison d’un constat d’inefficacité: «la situation sécuritaire ne s’est pas améliorée globalement depuis 2014.» Des propos confirmés par Antonio Guterres, secrétaire général de l’Onu, qui déplore dans un rapport la dégradation de la situation «dans le centre et le nord du Mali».

L’«enlisement de l’armée française» au Mali fait également des dégâts côté français. Après les trois militaires du 1er régiment de chasseurs tués dans une attaque le 28 décembre, la liste s’est allongée avec deux morts supplémentaires, ceux-ci du 2e régiment de hussards, le 2 janvier à Menaka. Ce qui porte à 50 le nombre de soldats français tombés au Mali.

​Mais qu’a fait l’armée française depuis 2013 avec l’Opération Serval, suivie par Barkhane? Florence Parly, ministre des Armées, s’est félicité de «succès militaires importants» remportés en 2020, avec la neutralisation de deux leaders terroristes, Abdelmalek Droukdal en juin et Bah Ag Moussa en novembre. Insuffisant pour crier victoire, selon l’ambassadeur:

«Aucune force militaire sur la planète n’a pu réduire complètement, remporter une victoire décisive sur les djihadistes, donc il n’y a pas de solution militaire.»

La stratégie ne doit pas être purement militaire, d’après lui. Les réponses aux problématiques djihadistes, séparatistes et intercommunautaires doivent être également de «nature institutionnelle, politique, économique». L’un des objectifs explicites de la force Barkhane consistait à appuyer et renforcer les armées nationales dans le Sahel.

«On ne fait pas une force en assemblant cinq faiblesses»

Le diplomate fait ainsi allusion à la création de la force conjointe du G5 Sahel, lancée en 2017, dotée de 5.000 soldats des cinq pays sahéliens (Mauritanie, Niger, Tchad, Burkina Faso et Mali) répartis en sept bataillons. Mais «on ne fait pas une force en assemblant cinq faiblesses», déclare-t-il.

Le constat d’inefficacité est similaire pour la Force «européenne» Takuba, rassemblant quelques groupements de forces spéciales de l’Hexagone et d’Estonie. Pour le diplomate, il est clair que «ces deux forces ne sont pas opérationnelles» pour des raisons multilatérales: «qui finance, qui décide, comment on s’organise, qui dirige tout cela, c’est extrêmement compliqué.»

Logo de l'opération Barkhane (archive photo) - Sputnik Afrique
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Dans un entretien au Parisien le 4 janvier, Florence Parly indiquait la possibilité d’une réduction des effectifs de la force Barkhane: «nous serons très probablement amenés à ajuster ce dispositif: un renfort par définition, c’est temporaire», évoquant les 600 hommes supplémentaires envoyés en février 2020 afin de cibler «le groupe affilié à Daech*, l’État islamique au Grand Sahara (EIGS)*» dans la zone des trois frontières (Mali, Burkina Faso, Niger).

Réduction oui, retrait non

Pourtant aucune annonce de retrait définitif des troupes françaises et pour cause, «le retrait de Barkhane provoquerait l’effondrement du Mali», selon Nicolas Normand:

«Si vous retirez brutalement Barkhane, les principales villes du Mali, surtout au nord et au centre, c’est à dire, Gao Tombouctou, Menaka et probablement Mopti, tomberont rapidement aux mains des djihadistes. J’en ai parlé avec les gouverneurs de ces villes au Mali.
Ils m’ont tous dit que leurs garnisons de forces locales, les FAMA –les forces armées maliennes– ne tenaient pas le choc devant les groupes armés djihadistes dans cette guerre asymétrique. Ils ont donc absolument besoin de Barkhane. L’utilité de Barkhane, c’est d’empêcher une catastrophe et une désintégration du Mali.»

Les troupes françaises peuvent empêcher les groupes armés qui se forment «d’être trop virulents et de menacer l’existence même du Mali», non de les éradiquer, selon l’ex-diplomate. La présence des 5.100 hommes se prolonge donc du fait des défaites successives de l’armée malienne face aux djihadistes et aux séparatistes. Mais il est «évident» qu’à terme, «la France doit se retirer militairement du Mali», conclut-il.

* Organisations terroristes interdites en Russie

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