«Il y a clairement un sentiment d’hostilité vis-à-vis de l’armée française […] Une armée étrangère qui reste longtemps sur le territoire national est toujours perçue comme une armée d’occupation, à terme. Il y a plutôt un rejet de la politique française. Il n’y a pas un rejet de la France en tant que telle.»
À l’heure où un civil malien a été tué accidentellement par des militaires français, le 1er septembre, Laurent Bigot, ancien sous-directeur du département Afrique de l’Ouest au ministère des Affaires étrangères, est pessimiste sur l’issue du conflit au Sahel. Licencié du Quai d’Orsay, selon lui, pour avoir critiqué en 2013 l’intervention française au Mali, il revient sur ses avertissements d’antan:
«À l’époque, j’avais même dit qu’on risquait de s’embourber dans cette situation malienne.»
Il estime que ses craintes ont été confirmées au vu de la situation sécuritaire «bien plus dégradée» qu’auparavant, une opération Barkhane «de moins en moins légitime» et la «déliquescence» de l’État malien, qui s’est traduite par le putsch militaire du 18 août.
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Flash-back: le 10 janvier 2013, le Président par intérim Dioncounda Traoré appelle officiellement la France à l’aide, le Mali étant confronté à l’avancée vers Bamako de groupes djihadistes coalisés. Le 11, François Hollande déclenche l’Opération Serval, «une décision courageuse et qui s’imposait», selon Laurent Bigot, et qui a permis le recul des terroristes de Ansar Dine.
L’échec des trois objectifs de Barkhane
C’est pourtant le défaut d’objectifs politiques associés à cette intervention française que pointe l’ancien diplomate à l’époque. Quels sont les buts de guerre officiels de Barkhane?
- La pression sur les groupes terroristes. Bigot considère que c’est «un échec patent», illustrant son propos avec la progression des régions à risques dans le Sahel: «les ¾ du Burkina sont en zone rouge, pratiquement tout le Mali et pratiquement tout le Niger».
- Le deuxième, c’est l’appui aux armées nationales afin d’améliorer leurs capacités opérationnelles. C’est également un «échec» pour l’ancien diplomate, étant donné les troubles politiques, notamment au Mali. 10 soldats maliens ont perdu la vie dans la nuit du 3 au 4 septembre dans une embuscade djihadiste.
- Enfin le dernier objectif consiste à intervenir en faveur des populations locales:
«C’est la même main qui tue des terroristes –donc des parents des populations locales– et qui en même temps interviendrait en faveur de la population? On est dans la schizophrénie qu’on a connue en Afghanistan […] On ne peut pas être la main qui tue et la main qui aide. Ce n’est pas possible. On est exactement dans les mêmes erreurs. En plus, on apparaît aux yeux de la population comme étant des soutiens d’un régime totalement corrompu.»
C’est ainsi que des groupes djihadistes sont parvenus à s’implanter durablement dans le Sahel, en capitalisant sur le rejet de l’État central et de l’intervention française: «ça devient plus facile pour ces groupes dits terroristes de convaincre la population que le camp des Occidentaux est le camp qui permet aux corrompus de se maintenir.» Qualifiant la vision française et occidentale sur le terrorisme d’«obsession», l’ancien diplomate estime que le Quai d’Orsay commet «des contresens politiques, sociaux et économiques.»
«Ce que nous appelons “terroriste”, n’est pas forcément un terroriste pour un Malien, pour un Burkinabé, pour un Nigérien, et ce n’est pas forcément la première préoccupation de ces opinions publiques là.»
L’ancien diplomate dénonce également «l’incohérence» des liens entre la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et de l’armée française avec des groupes armés touaregs, en faveur de l’indépendance de l’Azawad, c’est-à-dire toute la région du nord du Mali. L’Opération Serval est déclenchée en 2013 pour permettre à Bamako de «recouvrer sa souveraineté sur la partie nord du territoire», mais dans le même temps, «on travaille avec un mouvement politique armé qui conteste sa souveraineté.»
«Le Mali a le droit de coopérer avec qui il veut»
Tandis que la junte militaire renversait le 18 août le gouvernement et le Président Ibrahim Boubacar Keita (IBK), RFI relatait des propos tenus le lendemain lors d’un rassemblement de l’opposition à Bamako, revendiquant: «On veut coopérer avec la Russie», «On veut la Russie!». Alors que la Russie et le Mali ont signé en 2019 un accord de coopération militaire, ce rapprochement bilatéral peut-il se faire au détriment de Paris?
«Il y a d’autres acteurs dans le Sahel. La Russie revient. Tout le monde l’a oublié, mais à l’époque de l’Union soviétique, l’Afrique était une terre d’influence, il y avait même une lutte d’influence, entre le bloc de l’Est et le bloc de l’Ouest. C’est vrai que depuis 1989, cette présence-là s’était estompée. C’est un partenaire comme un autre.»
Et de conclure:
«Après on peut stigmatiser, fantasmer, je ne fais pas partie de ceux-là, le Mali a le droit de coopérer avec qui il veut, ça se fera au détriment de la France si nous ne sommes pas au rendez-vous des enjeux, tout simplement. À nous d’être bons et d’être cohérents par rapport à nos objectifs.»