«Je constate que, dans notre société, être un homme blanc crée des conditions objectives plus faciles pour accéder à la fonction qui est la mienne, pour avoir un logement, pour trouver un emploi, qu'être un homme asiatique, noir ou maghrébin, ou une femme asiatique, noire ou maghrébine. Donc, à cet égard, être un homme blanc peut être vécu comme un privilège.»
Le «privilège blanc» serait donc un «fait» pour le Président de la République, ainsi qu’il le précise dans un entretien-fleuve donné à L’Express ce mardi 22 décembre. Si le terme est repris à l’envi par les militants antiracistes français et américains, c’est la première fois qu’un homme politique s’en empare.
Dans une tribune publiée dans Le Monde en juin dernier sous le titre «Le privilège blanc, cette ineptie dangereuse», la secrétaire nationale à la coordination du Parti socialiste, Corinne Narassiguin, dénonçait le «communautarisme victimaire» dans lequel s’engouffre selon elle une partie de la gauche française lorsqu’elle s’approprie un concept directement venu des États-Unis. «Appréhender le racisme par le biais d’un prétendu privilège blanc, c’est prendre le problème à l’envers. On ne fait pas reculer le racisme en tentant de culpabiliser individuellement et collectivement les Blancs.»
Je suis une femme noire et je vous dis ce que je pense du « privilège blanc »
— Corinne Narassiguin (@CorinneNara) June 9, 2020
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Le Président de la République cautionne-t-il ici le lexique utilisé par la gauche «décoloniale», notamment porté par la militante Rokhaya Diallo?
Ne pas penser au racisme est un luxe que seules les Blanc.he.s peuvent s’offrir (privilège blanc). Étant confronté.e régulièrement aux multiples expressions du racisme quand on est arabe, asiatique, noir.e, on ne peut pas se permettre d’oublier son existence même si on adorerait. https://t.co/ck0wUst78h
— Rokhaya Diallo (@RokhayaDiallo) May 6, 2019
«Inflation de représentations victimaires»
S’il nuance sa position sur le «privilège blanc» dans cette même interview, précisant que «chacun a sa part de travail et de mérite» et que le risque est de faire de «cette donnée de base un facteur principal d'explication», Emmanuel Macron laisse perplexe Paul-François Paoli, l’auteur de l’ouvrage Aux sources du malaise identitaire français (éd. L’Artilleur), un essai qui s’attaque à la rhétorique décoloniale.
«Il n'y a pas de “privilège blanc” en France», fustige d’emblée Paoli avant d’ajouter: «Chacun sait que le malaise identitaire de ce pays est moins lié à des questions de couleur de peau qu'à l'inflation de représentations victimaires, que d'ailleurs Macron dénonce lui-même, ce qui le met en porte-à-faux avec son propre propos.»
Pour Paoli, le Président de la République se trouve à nouveau prisonnier de son fameux «en même temps». S’il regrette d’un côté la «société victimaire et émotionnelle» dans laquelle nous vivons, il contribuerait pourtant lui-même à «justifier et à nourrir ce ressentiment victimaire» en reprenant le terme de «privilège blanc».
Une communication qui ressemble plutôt à une forme de «grand écart» selon Arnaud Benedetti, professeur associé à l’université Paris-Sorbonne et spécialiste de la communication politique. Dans Le Figaro de ce mardi 22 décembre, l’universitaire voyait dans l’entre-deux macronien «une vision oxymorique dont l’objectif consiste à allouer des gages à toutes les parts du marché électoral. Comme si l’outre macronienne avait vocation à aspirer tous les vents dominants de la société, y compris les vents contraires.»
«Tintin au Congo renversé»
Entre «pensée complexe» et «grand écart» idéologique, il n’y aurait donc qu’un petit pas. Mais, pour Paul-François Paoli, Emmanuel Macron commet fondamentalement une erreur d’appréciation en accordant du crédit à l’idée de «privilège blanc». «L’idéologie antiraciste victimaire prospère sur tous ces malentendus et sur notre lâcheté», tranche notre interlocuteur.
«La France est un pays européen dont le peuple est constitué majoritairement de caucasiens et donc de “Blancs”, relève Paul-François Paoli. Ce fait n'induit aucun principe de supériorité raciale. L'erreur de l'universalisme républicain est plutôt de faire comme si cette réalité d'ordre anthropologique n'existait pas.»
En opposant systématiquement les «Blancs» aux «non-Blancs», les militants antiracistes verseraient-ils paradoxalement dans une forme de racisme à l’envers? «Racialiser les rapports sociaux, c’est reconduire les discriminations que l’on prétend combattre ou dissimuler celles qui existent déjà: par exemple déduire une doctrine de la couleur de peau et parler de “pensée blanche” est le geste même du vieux racisme “scientifique” du XIXe siècle. [Selon cette idéologie,] l’épiderme et la biologie déterminent les opinions, les comportements malgré soi: on se croirait dans Tintin au Congo, mais renversé», écrit l’essayiste Pascal Bruckner dans Le Figaro. «Le racisme commence quand on réduit l'autre à son origine à travers une hiérarchie quasi ontologique», corrobore Paul-François Paoli pour Sputnik.
Ironiquement, l’homme politique le plus favorable aux propos décoloniaux, Jean-Luc Mélenchon, a lui-même a refusé de reprendre l’expression de «privilège blanc». En juin dernier dans l’organe de La France insoumise, L’Insoumission, le député des Bouches-du-Rhône affirmait ainsi que «les trois ou quatre gens qui pensent l’existence d’un privilège blanc n’ont jamais vu un blanc pauvre». «Il faut aimer la France sans exclusive, ce n'est pas la couleur qui va séparer les Français», plaidait-il alors.