Accord UE-Chine: «un bout de papier dans lequel il n’y a pas grand-chose»

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Après sept années d’âpres négociations, l’Union européenne et la Chine sont en passe de signer un accord sur les investissements. Un document vraiment trop favorable à Pékin? Décryptage avec Mary-Françoise Renard, spécialiste de l’économie de la Chine, et Jean-François Di Meglio, président d’Asia Centre.

La Chine est «un rival systémique en matière de gouvernance, de valeurs et de multilatéralisme», affirmait un document d’analyse stratégique de l’Union européenne en novembre 2019. Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne, appelait Bruxelles à adopter en mai 2020 une «stratégie plus robuste» vis-à-vis de Pékin. L’accord sur les investissements entre l’Union européenne et la Chine semble refléter ces nouvelles ambitions européennes, selon Jean-François Di Meglio, président de l’institut de recherche Asia Centre.

Lancées en novembre 2013, les négociations se sont accélérées à la mi-décembre. On entrevoit la conclusion prochaine d’un compromis devant protéger mutuellement les investissements européens dans l’Empire du milieu et ceux de la Chine dans l'UE. Lors d'un point presse, le porte-parole de la diplomatie chinoise, Wang Wenbin, a affirmé le 18 décembre que «les négociations sont entrées dans la dernière ligne droite». Celles-ci ont fait «d'importants progrès» au cours des dix séances de tractations organisées courant 2020. «Nous n'y sommes pas encore, mais il est tout à fait possible que, si les choses avancent comme elles le font maintenant, nous puissions encore conclure cette année», a rétorqué à Bloomberg Valdis Dombrovskis, le vice-président de la Commission européenne en charge de l’Économie au service des personnes.

«Il faut impérativement qu’il y ait cette réciprocité»

Selon Le Figaro, si Pékin aurait fait de «réelles concessions» en ouvrant son marché aux Européens dans «les biotechnologies, l’automobile ou encore les services et le secteur hospitalier», Bruxelles autoriserait à son tour la présence des entreprises chinoises sur le marché des énergies renouvelables. En revanche, aucune avancée ne serait à signaler concernant les subventions excessives accordées aux entreprises publiques chinoises, ni sur le respect de la propriété intellectuelle, ainsi que sur les transferts imposés de technologie, soit les dossiers les plus sensibles. Difficile de juger donc si le document est défavorable aux Européens tant que son contenu entier n’a pas été rendu public, estime Mary-Françoise Renard, professeur à l’université de Clermont-Auvergne, spécialiste de l’économie de la Chine. L’auteur de L’économie de la Chine (La Découverte, 2018) prévient cependant:

«Il y a des secteurs sur lesquels on peut être inquiets, comme les marchés publics. Le secteur des marchés publics en Chine est fermé. Et, en Europe, il est ouvert. Donc l’Union européenne avait comme objectif de demander la réciprocité. Il faut impérativement qu’il y ait cette réciprocité. Il ne faut pas que certains secteurs deviennent complètement dépendants de la Chine. Il faudra qu’on fasse attention à des secteurs comme les ChinTech.»

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Comment la Chine a-t-elle réussi à relancer son économie?
La problématique des aides aux entreprises d’État «n’est pas quelque chose qu’on peut imposer à la Chine», pense-t-elle, puisqu’il s’agit là d’un choix de «politique intérieure». Leur importance étant considérable dans le cadre de la politique économique chinoise, Mary-Françoise Renard estime vain de négocier à ce sujet: «La Chine ne reviendra pas là-dessus.» En revanche, la réciprocité sur les droits de propriété intellectuelle lui semble extrêmement importante, «il n’y a aucune raison que la Chine ne respecte pas les règles».

«On garde la porte ouverte avec la Chine»

L’opacité constatée de cet accord suscite pourtant les interrogations de Jean-François Di Meglio. S’il était indispensable d’accélérer le calendrier des pourparlers afin de couronner la présidence allemande de l’Union européenne, celui-ci évoque un texte «purement symbolique». Il s’agit d’une «signature sur un bout de papier dans lequel il n’y a pas grand-chose». Selon lui, les termes du texte restent «vagues», tant la ratification du Parlement européen est peu probable. Cette institution se montrant généralement «très hostile à la Chine» sur les droits de l’homme.

«Tant que la Chine n’a pas signé un certain nombre d’engagements, concernant les conditions de travail, le travail forcé surtout, cet accord ne pourra être rempli de substances précises. On est d’accord pour favoriser des investissements. Mais on ne dira pas dans quels secteurs. Ça va rester très flou. Et il faudra préciser les choses à un moment hypothétique, lorsque la Chine aura montré de la bonne volonté sur les points qui font blocage avec l’Europe.»

Donald Trump et Xi Jinping lors du sommet du G20 à Osaka, archives - Sputnik Afrique
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Coïncidence ou pas, ce 21 décembre, la diplomatie européenne a demandé à la Chine la «libération immédiate» de l'avocate Li Yuhan et de plusieurs autres défenseurs des droits de l'homme. Rappelant que l’hémicycle européen a déjà fait obstacle en 2016 à Pékin, refusant à la Chine le statut d'économie de marché, Jean-François Di Meglio est pessimiste quant aux chances que cet accord, bien que limité,  soit «ratifié sans modifications». «Tant que le Parlement n’a pas ratifié, ça n’existe pas», ajoute-t-il. Le spécialiste de la Chine estime pourtant que l’intérêt de telles négociations est d’entretenir le dialogue avec la deuxième puissance économique mondiale. «Même si c’est un rival, ça n’est pas un ennemi», pense-t-il. «Ça montre que l’Europe est beaucoup plus courtisée qu’on ne l’imaginait», se réjouit-il en outre, interprétant la volonté chinoise de conclure rapidement ces négociations durant la période de transition présidentielle américaine.

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