Jeudi, le peuple tunisien a fêté le 10e anniversaire de la révolution du 17 décembre 2010. Beaucoup de Tunisiens, également de la classe politique, estiment que la révolution n’a malheureusement pas atteint ses objectifs.
Ainsi, dans un témoignage publié sur sa page Facebook, l’ex-Président de la République Moncef Marzouki, qui a dirigé le pays avec le mouvement islamiste d’Ennahdha durant les trois années ayant suivi la révolution (2011-2014), explique les raisons qui ont avorté l’espoir populaire d’un changement radical. Selon lui, la direction d’Ennahdha, dont Rached Ghannouchi est le chef, endosse la plus grande responsabilité de cet échec historique.
Une alliance imposée par les circonstances?
La majorité des militants de base d’Ennahdha ont soutenu avec enthousiasme les nouveaux principes de la gestion de la vie politique issus de la révolution, affirme l’ex-Président qui défend bec et ongles le droit des islamistes à exercer le pouvoir s’ils sont choisis par le peuple lors d’élections libres et démocratiques. Cependant, la direction d’Ennahdha n’a pas été à la hauteur des aspirations populaires, ajoute-t-il.
«Je témoigne pour l’histoire, par expérience directe et loin des préjugés et des règlements de comptes, que la direction d’Ennahdha a été la principale cause qui a fait avorter la révolution démocratique que le pouvoir lui a donnée sur un plateau d'argent». «Cette révolution qu’elle a rendue sur un plateau en or à la contre-révolution, l’ennemie de la démocratie».
La réconciliation, cheval de Troie de la contre-révolution?
En effet, au nom d’une prétendue réconciliation entre les différentes factions politiques, notamment entre les islamistes et les caciques de l’ancien régime, explique l’ex-chef de l’État tunisien, la direction d’Ennahdha a rouvert la porte au retour de l’ancienne garde du régime.
«Le plus dangereux est que la plénitude des paroles de modération, de tolérance et de réconciliation dissimulait le poison de la faiblesse qui a infiltré les esprits et les cœurs», affirme Moncef Marzouki, soulignant que ceci «a fait largement répandre au sein de la société que l'impunité était devenue un droit acquis. […] Surtout après que les Tunisiens ont constaté que la justice transitionnelle était entravée, en refusant de mettre en œuvre les recommandations du rapport de la Commission vérité et dignité».
Rached Ghannouchi «a caché, à moi et à tous les Tunisiens, les termes de l’accord qu’il avait conclu avec feu Béji Caïd Essebsi [ministre de l’Intérieur de Bourguiba et président du Parlement de Ben Ali, ndlr] en 2013 à Paris, et pour qui Ennahdha a voté».
Quid du rôle de la gauche et des médias?
En Tunisie, la contre-révolution a également réussi grâce à certaines familles politiques et «aux médias mercenaires chargés de tromper le peuple» en dégradant à ses yeux l’idée de la démocratie, le plus important acquis de la révolution, soutient l’ex-chef de l’État tunisien.
«Ma part de responsabilité réside dans le fait d’avoir sous-estimé la férocité de la contre-révolution et de ses méthodes, et le rôle destructeur des médias corrompus que nous n’avons pas réussi à affronter avec efficacité.»
Outre les islamistes, Moncef Marzouki pointe le rôle de la gauche qui «a fait faillite politiquement et moralement». Selon lui, elle a été la principale alliée cachée d’Ennahdha lors des élections de 2014, «quand ils m’ont barré la route et voté pour le candidat de l’ancien système [Béji Caïd Essebsi, ndlr]».
Lotfi Zitoun, un ex-dirigeant d’Ennahdha et conseiller de Rached Ghannouchi, a affirmé à la Deutsche Presse-Agentur que «l’islam politique avait lamentablement échoué en Tunisie». «L’islam politique a provoqué un état de division au sein de la société tunisienne à un moment où les revendications de la révolution étaient foulées aux pieds des politiciens», a-t-il souligné. Le mouvement Ennahdha a échoué dans la gestion du pays durant les trois ans de transition, a expliqué le responsable, appelant ses confrères «à développer une vision et un projet pragmatiques loin de l’idéologie islamiste».