Des élections régionales «historiques» au Cameroun, mais après?

© AFP 2023 -Comptage des bulletins dans un bureau de vote à Yaoundé, Cameroun.
Comptage des bulletins dans un bureau de vote à Yaoundé, Cameroun. - Sputnik Afrique
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Les premières élections régionales camerounaises du 6 décembre sont venues parachever le processus de décentralisation. Ce scrutin, sans objet pour une partie de l’opposition, est présenté en revanche par le pouvoir de Yaoundé –qui sans surprise l’a emporté– comme la solution à la crise séparatiste. Cette option sera-t-elle efficace?

Le 22 décembre prochain, 900 conseillers régionaux prendront officiellement leurs fonctions. Ils ont été élus le 6 décembre dernier à l’issue des toutes premières élections régionales de l’histoire du Cameroun. Le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), formation du Président Paul Biya au pouvoir depuis 38 ans, a sans surprise largement remporté ce scrutin dans neuf des dix régions. Trois partis, dont deux de la majorité présidentielle, se partagent le reste des sièges, notamment l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP) qui remporte la région de l’Adamaoua, la seule qui échappe au RDPC.

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Si 14 partis étaient en lice, le RDPC partait  largement favori. En effet, à l’issue du scrutin municipal de février dernier, la formation au pouvoir compte désormais plus de 10.000 conseillers municipaux et gère 316 communes sur les 360 du Cameroun. Des conseillers municipaux qui constituent majoritairement le collège électoral pour les élections régionales. Dans chaque région, 70 conseillers sont élus par un collège composé de délégués, eux-mêmes élus par les conseillers municipaux de chaque département, et 20 conseillers élus par les chefs traditionnels en leur sein. La majorité acquise par le parti de Paul Biya lors de ce scrutin lui permet de contrôler le Conseil régional, une institution au cœur du processus de décentralisation.

Des élections sans objet pour l’opposition

Dans tout le pays, le scrutin a été boycotté par les deux principaux partis d’opposition: le Social Democratic Front (SDF) et le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), de Maurice Kamto, le farouche opposant de Paul Biya. Une des raisons invoquées par les deux formations est la persistance des violences dans les régions anglophones du pays, toujours en proie à la crise séparatiste depuis quatre ans. D’ailleurs, un conseiller municipal du RDPC a été assassiné le jour du scrutin par des séparatistes qui avaient menacé de troubler le vote.

Cependant, de son côté, le gouvernement persiste à dire que les élections se sont déroulées dans le «calme et la transparence». Une «mascarade», pour Maurice Kamto. Dans un communiqué publié le 9 décembre, l’opposant, qui a finalement retrouvé sa liberté de mouvement après plusieurs semaines d’assignation à domicile, qualifie cette échéance de «passage en force» par le pouvoir de Paul Biya.

«Le déroulement de ces élections régionales a démontré que, malgré ses incantations, le régime demeure incapable ou peu soucieux d’assurer la sécurité des citoyens. La mascarade du 6 décembre ne changera en rien le quotidien du peuple camerounais, dont les aspirations profondes ne se réaliseront manifestement pas sous le régime dictatorial actuel», a écrit l’opposant.

Dans les rangs du parti au pouvoir, la réaction ne s’est pas fait attendre. Jacques Fame Ndongo, secrétaire national à la communication du RDPC, qualifie dans un tweet la logique de Maurice Kamto de «nihiliste et fictionnelle».

Pour lui, le président du MRC «persévère dans la voie de la diabolisation du régime de Yaoundé» et «refuse de reconnaître le fonctionnement efficient du modèle politique camerounais».

La décentralisation comme solution à la crise?

Bien que déjà inscrite dans la Constitution de 1996, l’accélération de la décentralisation avait été remise sur la table à l’occasion du Grand dialogue national fin 2019 à Yaoundé. Une option brandie par le pouvoir en place avec en prime l’octroi d’un statut spécial aux deux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest comme solution à la crise séparatiste en cours. Ceci en lieu et place du fédéralisme souhaité par les leaders anglophones modérés.

Cependant, estime Aristide Mono, enseignant en sciences politiques à l’université de Yaoundé 2, si cette «élection vient compléter un vide de l’ingénierie institutionnelle de la décentralisation au Cameroun, cela risque de n’être utile qu’au niveau de la forme. Dans le fond, il y a plusieurs insuffisances qui désubstancialisent l’idéal d’autonomisation des collectivités territoriales décentralisées».

«Déjà, le collège électoral n’était pas assez représentatif. Dans certains cas, les chefs traditionnels ne justifiaient pas leur légitimité et se trouvaient contestés dans leurs propres localités. Le collège des conseillers municipaux était issu d’élections boycottées et contestées avec un taux d’abstention très élevé [scrutin de février 2020 NDLR]. Un grand nombre de ceux qui ont élu les conseillers régionaux souffrent donc d’un problème de légitimité», conclut le politologue au micro de Sputnik.

Yaoundé présente ces régionales comme «historiques» et affirme qu’elles vont régler la crise dans les zones anglophones. Mais Aristide Mono souligne qu’il n’y a «aucun lien entre les exigences des séparatistes armés qui attendent une discussion avec l’État et la mise sur pied de conseils régionaux».

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Pour le politologue, il y a même «un gros amalgame» entre la crise anglophone et le problème anglophone. «La crise anglophone est l’expression violente du problème anglophone qui est l’impérieux désir des anglophones d’un retour à un système autonome ou semi-autonome qui leur garantit une vie socioéconomique un peu plus au-dessus de celle que lui propose l’État unitaire.»

«Suivant ce distinguo, on peut donc clairement voir que la mise sur pied des conseils régionaux achève l’élaboration du statut spécial octroyé aux régions anglophones en consacrant un début de retour à la forme de l’État revendiquée par plusieurs anglophones. Elle s’affirme par conséquent comme un pas vers la résolution du problème anglophone et non de la crise qui, elle, nécessite soit une entente entre les belligérants soit une défaite  reconnue de l’un d’eux», estime l’analyste au micro de Sputnik.

Pour rappel, le Southern Cameroons, cette partie méridionale de l’ancien Cameroun britannique qui représente les deux régions anglophones en crise aujourd’hui, s’était autrefois prononcé pour l’indépendance et son rattachement à l’ex-Cameroun francophone. Les deux entités ont formé une République fédérale à partir du 1er octobre 1961. En 1972, un référendum a mis fin au fédéralisme. Les deux États fédérés se sont fondus pour n’en faire qu’un. Aujourd’hui, les séparatistes anglophones veulent marquer la rupture avec la partie francophone en remettant en question les clauses du rattachement de 1961.

Si, dans le pays, l’heure est à la mise en application des résolutions du Grand dialogue national, sur le terrain, le conflit s’est sérieusement enlisé et des actes de barbarie sont enregistrés au quotidien. Les combats ont fait plus de 3.000 morts, selon des ONG, et au moins 700.000 déplacés.

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