Tunisie: pour la première fois, des migrants obtiennent leur adhésion à la centrale syndicale

© AFP 2024 FETHI BELAIDNoureddine Toubibi, secrétaire général de l'UGTT, principale centrale syndicale de Tunisie
Noureddine Toubibi, secrétaire général de l'UGTT, principale centrale syndicale de Tunisie - Sputnik Afrique
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En Tunisie, six migrants originaires d’Afrique subsaharienne ont pu adhérer à l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), la principale centrale syndicale de Tunisie, ce mercredi 2 décembre. Une avancée majeure pour les étrangers dans ce pays.

C’est une décision historique qui enorgueillit Naïma Hammami. Jointe au téléphone par Sputnik, la secrétaire adjointe de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) ne cache pas sa satisfaction. Et pour cause, son syndicat vient d’admettre six étrangers, tous des migrants subsahariens, dans ses rangs.

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Désormais, tout travailleur étranger peut adhérer à l’UGTT et cette initiative «est une première, non pas en Afrique du Nord, mais pour tout le continent et pour tous les pays du monde arabe!», s’enthousiasme-t-elle.

«Les syndicats doivent défendre tous les travailleurs, quelles que soient leur origine, leur couleur de peau ou leur nationalité. […] C’est une nécessité pour réaliser l’égalité, l’équité, pour que tous puissent bénéficier des droits humains fondamentaux», insiste-t-elle.

Cette première a été inaugurée ce mercredi 2 décembre, lors d’une cérémonie officielle au siège de la centrale syndicale à Tunis, en présence du secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi. Il a délivré leur carte aux six premiers adhérents non tunisiens: trois femmes et trois hommes venus du Sénégal, de Côte d’Ivoire, du Mali, du Burkina Faso et de Guinée.

Alain Roch Ossoro fait partie de ce groupe. Âgé de 49 ans, cet Ivoirien a passé trois ans en Tunisie. À son arrivée, il a travaillé dans le bâtiment comme journalier pour 25 dinars par jour (environ 8 euros). Désormais, il est employé à l’espace migrants de l’UGTT à Tunis, un des quatre points focaux régionaux mis en place ces dernières années, pour fournir des informations fiables aux étrangers en situation irrégulière et les aider à faire respecter leurs droits.

Également contacté par téléphone, Alain nous précise que depuis deux jours, il est très occupé à «enregistrer les nouvelles adhésions», pour un prix de douze dinars (environ 4 euros) la carte. Depuis mercredi, cinquante personnes ont rejoint l’UGTT à Tunis.

Portée limitée

Alain Roch Ossoro est optimiste: «Il vaut mieux avoir une lueur d’espoir que rien du tout.» Même si cette adhésion ne va pas changer radicalement son quotidien, il estime que cela peut «limiter un certain nombre de pratiques».

«L’employeur embauche un migrant quand il le souhaite et le licencie comme il le souhaite», se désole-t-il.

À cette précarité s’ajoutent l’exploitation, les mauvais traitements –dont le racisme– et le non-versement des salaires.

Pour Radhi Ben Hassine, coordinateur des espaces migrants du syndicat, c’est une manière de placer ces travailleurs «sous le parapluie d’une grande organisation», dit-il à Sputnik. «Cela les rassure, cela leur donne un certain statut, même auprès de leur employeur.»

«C’est un premier pas. La prochaine étape sera de constituer des syndicats de travailleurs migrants au sein de l’UGTT.»

Ainsi, l’intégration des travailleurs étrangers reste pour l’instant une mesure à la portée limitée, jusqu’à la création par la centrale syndicale d’une véritable branche qui leur sera dédiée. La Tunisie est devenue une terre d’accueil, rappelle Radhi Ben Hassine. Selon lui, il faut adapter le Code du travail et la loi sur le séjour régulier.

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Dans les faits, un travailleur venu d’Afrique subsaharienne n’a presque aucune chance d’obtenir un jour un contrat et une carte de résident. La faute à un cadre réglementaire très restrictif qui n’a presque pas évolué depuis plus de 30 ans. Pourtant, certains secteurs peinent à recruter.

Secteurs en tension

C’est ce qu’affirme une étude du Centre tunisien de veille et d’intelligence économique qui chiffrait précisément en 2012 les besoins en main-d’œuvre de l’économie et les secteurs concernés. Il y avait alors 120.000 postes à pourvoir dans les entreprises tunisiennes, hors agriculture et administration.

Il ne faut pas en tirer des conclusions trop hâtives, estime Mohamed Belarbi, conseiller technique principal auprès de l’Organisation internationale du travail (OIT), joint par Sputnik. L’étude est très ancienne, fait observer ce spécialiste, responsable du projet AMEM (Appui à la migration équitable pour le Maghreb). Il y a très peu de statistiques et beaucoup d’interprétations possibles: «Est-ce que la population tunisienne veut ou ne veut pas travailler?»

«Ce qui est certain, c’est que certains secteurs aujourd’hui n’ont plus beaucoup d’attractivité pour les jeunes. Peut-être y a-t-il un déficit de travail décent dans certains domaines.»

La Tunisie connaît actuellement un chômage massif. 

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Il était de 16,2% au troisième trimestre de cette année, selon l’Institut national de la statistique. Dans ce contexte, comment expliquer que la Tunisie reste une destination attractive pour les migrants? Qu’importe, que l’économie du pays soit en manque ou non de main-d’œuvre, il faut accorder des droits aux étrangers vivant en Tunisie, estime Ferdaous Ouertani, coordinatrice nationale du BIT (Bureau international du travail) à Tunis, jointe par Sputnik.

«Cette population existe déjà, elle est là depuis quatre, cinq ans. C’est une réalité, les migrants travaillent et ils rencontrent beaucoup de problèmes. Donc l’UGTT ne fait que les appuyer pour leur assurer un minimum de dignité et de droits dans le milieu du travail», dit-elle.

Un travailleur originaire de RDC et militant de la société civile confie à Sputnik attendre pour se prononcer véritablement sur la mesure. «Si c’est fait seulement pour la forme, pour calmer les ardeurs des migrants, je ne vois pas l’intérêt d’intégrer le syndicat.»

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