La campagne électorale en prévision de la présidentielle du 14 janvier 2021 en Ouganda a commencé sur fond de vives tensions entre le gouvernement du Président Yoweri Museveni et l’opposant Bobi Wine. L’arrestation de ce politicien de 38 ans il y a environ deux semaines avait déclenché une vague de protestations au cours de laquelle au moins 37 personnes avaient été tuées dans le pays.
Kibooko and bullets as police disperse Bobiwine supporters. pic.twitter.com/AEgO90tFaC
— Patrick Mukasa (@pmukasaofficial) November 28, 2020
La police ougandaise en train de disperser violemment un rassemblement de partisans de Bobi Wine.
Relâché tout en étant inculpé pour «actes susceptibles de propager une maladie infectieuse» et infractions aux «règles sur le Covid-19», Bobi Wine a promis de poursuivre la lutte contre le Président Museveni qui briguera son sixième mandat en 2021.
De la pop music au Parlement
Bobi Wine, de son vrai nom Robert Kyagulanyi Ssentamu, est né le 12 février 1982 à l'hôpital de Nkozi, où travaillait sa défunte mère. Il a grandi dans le bidonville de Kamwookya, au nord-est de Kampala, la capitale de l’Ouganda. Choriste dans une église, il intègre l’université de Makerere où il étudie la musique et le théâtre avant de se lancer dans la musique au début des années 2000. Il connaît un succès retentissant et devient l’un des artistes les plus célèbres de l’Ouganda, ce qui lui vaut le surnom de «Ghetto President», pour avoir chanté sur le fait de grandir dans un bidonville.
«Ennemi de la prospérité» de l’Ouganda
Dès qu’il a rejoint le Parlement en 2017, Bobi Wine est rapidement devenu un critique éminent du Président Yoweri Museveni. Depuis, il est constamment dans le collimateur du pouvoir ougandais. Plus de 120 de ses concerts en 2017 ont été annulés par les forces de sécurité qui n’ont pas hésité à utiliser des gaz lacrymogènes et des canons à eau pour disperser ses rassemblements. Tous ses faits et gestes sont scrutés à la loupe. Un projet de loi sur la censure, aussi appelé «loi anti-Bobi Wine», démontre à quel point le jeune politicien constitue une menace aux yeux des autorités.
Torturé, battu, sa maison ciblée par une attaque à la bombe, Bobi Wine est devenu la bête noire de son gouvernement. Dans une interview accordée à la BBC, le Président Museveni n’a pas hésité à le qualifier d’«ennemi de la prospérité de l’Ouganda». Ce qui n’a pas pour autant empêché le chanteur-député de continuer à militer contre le pouvoir ougandais.
David contre Goliath
À 76 ans, «M7» (le surnom de Yoweri Museveni) est le seul Président que la plupart des Ougandais connaissent, dans un pays où un habitant sur deux a moins de 16 ans. Quand il est arrivé au pouvoir en 1986, à la faveur d’une guerre civile qui avait complètement détruit l’Ouganda, Boni Wine n’avait que 4 ans. Jusqu’à l’arrivée du jeune homme dans l’arène politique ougandaise en 2017, pas grand-monde n’avait réussi jusque-là à inquiéter l’homme fort de Kampala, qui règne sur le pays depuis maintenant près de 34 ans. Dans cette optique, l’irruption de Bobi Wine dans le ring politique face au Président a constitué un sérieux problème pour le régime.
Bras de fer entre Bobi Wine et Yoweri Museveni, le rappeur militant et l'ancien « freedom fighter » #Ouganda #BobiWine #YoweriMuseveni https://t.co/i38vHyYY1R
— Jeune Afrique (@jeune_afrique) November 21, 2020
Les principaux atouts du jeune politicien, ce sont d’abord sa notoriété et son succès auprès la population ougandaise, mais aussi et surtout sa fougue et son âge. Wine pourrait être le petit-fils de Museveni. En Afrique subsaharienne en général, et dans les Grands Lacs en particulier, on n’avait jamais vu cela auparavant. C’est un combat de David contre Goliath qui place le pouvoir ougandais dans une position délicate. En mobilisant les moyens de l’État pour écraser le jeune opposant, qui n’a que son courage et sa volonté de changement à offrir, le régime a, d’une certaine manière, donné l’impression de le craindre.
En outre, le «Président du ghetto» est devenu, contre toute attente, le principal opposant au Président Museveni. Un exploit auquel peu de monde, parmi les observateurs avertis de la question ougandaise, pouvait s’attendre. Même s’il n’a pas les moyens d’ébranler, du moins pour le moment, l’édifice sur lequel repose l’autorité de Yoweri Museveni, le simple fait de l’avoir défié à la face du monde est une victoire en soi. Symbolique certes, mais assez conséquente pour faire bouger les lignes et susciter une certaine inquiétude au niveau du pouvoir ougandais...