République centrafricaine: la Russie est là pour rester

© AFP 2024 FLORENT VERGNESLes nouvelles recrues de l'armée centrafricaine entraînées par des consultants russes
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Après plusieurs mois de pourparlers entre la Fédération de Russie et les autorités centrafricaines, le ministère russe de la Défense va ouvrir une représentation à Bangui, la capitale centrafricaine, preuve que Moscou est dans le pays pour rester. Analyse pour Sputnik du chercheur et journaliste Patrick Mbeko.

L’ouverture d’une antenne du ministère russe de la Défense à Bangui, capitale de la République centrafricaine (RCA), a été au centre des discussions entre les autorités russes et leurs homologues centrafricaines ces derniers mois. Selon le nouveau représentant du ministère de la Défense russe, le général Oleg Polguev, en mission en Centrafrique, l’ouverture de ce bureau sera bientôt effective.

Accompagné d’une délégation d’experts militaires russes, il en a fait l’annonce au sortir d’une audience avec le Président centrafricain Faustin-Archange Touadéra, le 31 août dernier.

«Nous avons discuté du calendrier d’ouverture et des perspectives de fonctionnement de cette représentation. La date d’ouverture dépend du succès de la mission de reconnaissance qui est déjà prometteuse», a déclaré le général Polguev.

Et de souligner que «l’ouverture de cette représentation impulsera un nouvel élan dans les rapports entre nos deux pays». Preuve que les relations bilatérales entre Moscou et Bangui, notamment dans le domaine de la défense, sont là pour durer.

Savoir profiter des occasions

Lorsque, en septembre 2017, la RCA, minée par des conflits intercommunautaires sanglants et confrontée à une situation de «ni paix-ni guerre», a demandé de l’aide à la France pour faire face à l’instabilité qui régnait dans le pays, Paris a offert quelque 1.400 kalachnikovs piochées dans le stock d’armes confisqué au large de la Somalie par la marine française. À l’époque, la Russie s’y était opposée en mettant son veto au Conseil de sécurité au motif que les armes saisies pour avoir violé l’embargo des Nations unies sur les armes en Somalie ne pouvaient être recyclées pour être utilisées dans un autre pays sous embargo –le cas de la RCA visée par un embargo sur les armes depuis 2013.

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Empêtré dans le Sahel, l’Hexagone n’avait plus donné suite à la demande centrafricaine, laissant le champ libre à la Russie qui, sollicitée par le Président Touadéra, avait réclamé au Conseil de sécurité une exemption à l’embargo sur les armes imposé à la Centrafrique afin d’équiper des unités de l’armée de ce pays dépourvue de formation et d’équipements. Avec le feu vert de l’ONU, Moscou profitait de l’opportunité qui s’offrait à lui pour proposer un «package deal» plus important aux autorités centrafricaines.

En effet, les Russes ne se sont pas seulement contentés de livrer des tonnes de Kalachnikovs, de lance-roquettes RPG 7 et de canons antiaériens aux FACA (Forces armées centrafricaines), ils ont aussi et surtout offert leurs services dans le domaine de la défense aux autorités de Bangui. Cela a sonné le début d’une coopération bilatérale russo-centrafricaine importante qui a fait des mécontents ailleurs, notamment en Occident...

Une présence russe qui dérange

En fait, l’arrivée de la Russie sur la scène centrafricaine n’est pas vue d’un bon œil par certaines puissances occidentales, qui craignent que Moscou ne renforce davantage son influence dans le pays via la coopération militaire avec celui-ci. Si la France, ex-puissance coloniale, redoute d’être surpassée dans son ancien pré carré, les États-Unis, que rien de ce que fait la Russie ne laisse indifférents, n’entendent pas permettre à cette rivale de s’implanter durablement au cœur de l’Afrique.

S’exprimant devant la Commission sénatoriale des armés l’année dernière, l’ancien patron de l’Africom (le commandement militaire américain pour l’Afrique), le général Thomas Waldhauser, avait fait part, avec inquiétude, des avancées croissantes de la Russie en République centrafricaine et, dans une moindre mesure, en Algérie, en Libye et au Soudan...

Jouer de la rivalité des grandes puissances…

Pour contrer cette «percée» russe, chacun, tant à Washington qu’à Paris, y va de sa stratégie de séduction pour charmer Bangui après l’avoir snobé pendant un moment. En effet, l’Hexagone, qui avait prématurément retiré la force Sangaris (l’opération française déployée en RCA entre décembre 2013 et octobre 2016) au grand dam des autorités de Bangui, a rétabli un certain nombre de programmes tant dans le domaine militaire que dans le renforcement et la modernisation de l’administration centrafricaine. Les États-Unis ont, pour leur part, fait un don de 12,7 millions à la RCA dans le cadre d’un programme de formation des FACA. La Chine n’a pas été en reste non plus. Début 2018, Pékin a fait un don de plusieurs millions de dollars en termes de projets à la RCA et a annulé sa dette de 30 millions de dollars (environ 17 milliards de francs CFA).

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Si l’implication de la Chine, qui se limite au volet économique, peut se comprendre au regard des relations commerciales qu’elle a entretenues dans un passé assez récent avec Bangui, s’agissant des États-Unis et surtout de la France, on peut parler d’un revirement majeur consécutif à la présence de la Russie en Centrafrique. Comme susmentionné, l’Hexagone avait retiré la force Sangaris du pays alors que les groupes armés faisaient régner la loi du chaos. Les autorités centrafricaines avaient très mal vécu ce repli, comme devait l’admettre le Président Faustin-Archange Touadéra: «Il faut reconnaître que nous avions souhaité que la force Sangaris poursuive sa mission et avons regretté son retrait», avait-il alors déclaré.

La présence de la Russie en Centrafrique semble donc avoir poussé certains États occidentaux, à commencer par la France qui avait abandonné le pays à son triste sort, à reconsidérer leur position. Comme l’a fait observer à Jeune Afrique un haut fonctionnaire onusien à propos de la présence des puissances étrangères en RCA:

«La Centrafrique est un échiquier géopolitique où chacun avance ses pions. Quand l’un bouge, les autres regardent et agissent en conséquence.»

Pour le Président Touadéra, ce regain d’intérêt soudain pour la Centrafrique est l’occasion de mieux positionner le pays sur l’échiquier international. Tout le monde s’implique désormais du mieux qu’il peut en RCA: aussi bien la Russie que la France, l’Union européenne, les États-Unis et la Chine. Mais cela suffira-t-il à atténuer l’influence grandissante de l’ours russe dans le pays? Pas sûr.

… tout en accordant une place de choix à la Russie

En effet, même si le Président Faustin-Archange Touadéra semble exploiter la rivalité entre les grandes puissances pour mieux positionner son pays, il n’en reste pas moins qu’il accorde à la Russie une place de choix dans ce qu’il convient d’appeler «le grand jeu centrafricain».

Certes, la France reste présente militairement sur le territoire avec une cinquantaine de formateurs et des drones tactiques, mais cela ne semble pas bousculer sérieusement le «nouvel ordre» qui vient de se mettre en place. La ministre française des Armées Françoise Parly a beau souligner que l’Hexagone débourse 130 millions d’euros pour la Centrafrique –soit l’équivalent d’un tiers du budget centrafricain–, rien n’y fait. Les Américains ont beau affirmer et réaffirmer l’engagement continu des États-Unis en faveur de la paix en RCA, et même si l’Union européenne aide l’État centrafricain à boucler ses fins de mois, rien n’y fait toujours. La Russie est partout en Centrafrique, y compris dans l’entourage immédiat du Président Touadéra. Une unité spéciale de l’armée russe assure en effet la sécurité de ce dernier. Moscou est sans conteste devenu incontournable dans le paysage local. Sa présence se manifeste aussi avec des firmes de sécurité privée comme Wagner, ou des entreprises spécialisées dans le domaine extractif.

Ce «succès africain» est principalement attribuable à la constance de l’engagement russe dans ses rapports avec ses partenaires et/ou alliés et son approche diplomatique en Afrique, qui prend en considération certaines sensibilités, y compris dans le règlement des conflits où Moscou cherche davantage à ménager les différentes susceptibilités que d’imposer les desiderata d’un camp au détriment d’un autre.

À cet égard, il convient de souligner que la Russie a été la cheville ouvrière de l’accord de paix intervenu entre le gouvernement centrafricain et les groupes armés, négocié à Khartoum et signé à Bangui le 6 février 2019.

«C’est bien que la Russie fasse ce que la France ne fait plus», déclarait le principal chef rebelle centrafricain Noureddine Adam quelques semaines avant la signature dudit accord...

Un autre facteur semble expliquer le succès de la Russie en Afrique: contrairement aux États-Unis, à la France et à l’Union européenne, Moscou n’affiche pas la démocratie sur le continent noir comme un objectif prioritaire et, par-dessus tout, il n’a pas la réputation de lâcher ses alliés en difficulté en cours de chemin. À cet égard, il faut dire que même si un grand nombre de chefs d’État africains se sont gardés de se prononcer ouvertement sur le conflit en Syrie, la plupart d’entre eux ont vu comment la Russie a défendu le pays face à la coalition arabo-occidentale conduite par Washington.

Tout ceci semble donner à Moscou un avantage certain sur ses adversaires en Afrique, et ce en dépit du fait qu’il reste loin derrière la France et l’Union européenne en matière d’aides et d’investissements sur le continent en général et en Centrafrique en particulier.

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Pour la plupart des dirigeants au sud du Sahara, l’approche russe est d’autant plus préférable que certains d’entre eux tiennent à leur pouvoir comme à la prunelle de leurs yeux. Ils savent qu’ils peuvent dormir sur leurs lauriers sans crainte d’être importunés par une Russie qui se garde généralement de s’immiscer dans les affaires internes des autres États. Une approche qui n’est pas sans déplaire, non plus, et paradoxalement, à des populations africaines de plus en plus hostiles à toute forme d’ingérence, quand bien même elle s’exercerait contre un pouvoir impopulaire. En cause: le sentiment que ces pressions poursuivraient, parfois, d’autres objectifs que la simple affirmation des principes au nom desquels elles se déploient.

Si par le passé, de nombreux pays africains ont pu compter sur l’Union soviétique pour se libérer de la tutelle des anciens colonisateurs européens, aujourd’hui, beaucoup s’appuient sur la Russie pour assurer leur sécurité et se soustraire aux pressions occidentales sur certaines questions. En effet, c’est grâce à Moscou, et dans une moindre mesure à la Chine, que le Burundi a pu résister aux pressions de l’Union européenne et des États-Unis depuis 2015. Chez le voisin congolais, le soutien de Moscou et de Pékin a permis à Joseph Kabila de tenir bon contre les pressions occidentales alors qu’il était en fin de mandat. Quant à la Centrafrique, elle peut toujours compter sur la voix de la Russie qui est devenue son meilleur avocat au Conseil de sécurité.

En autorisant l’ouverture d’un bureau du ministère russe de la Défense sur son territoire, Bangui fait comprendre au monde entier que Moscou est là pour rester, et rien n’indique, du moins pour le moment, que l’issue des élections à venir pourrait changer cette donne...

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