Les spiritueux artisanaux ont toujours rythmé les tranches de vie des Ivoiriens qui en consomment lors d’événements heureux (mariages, anniversaires, baptêmes...), malheureux (funérailles), ou tout simplement au quotidien. La légende leur prête nombre de vertus, curatives –une récente rumeur voulait que l’une d’elles, le koutoukou, soigne le coronavirus!–, régénérantes, énergisantes et parfois même mystiques.
Le préfet d’Abidjan @VincentTohBi démonte les fake news qui circulent sur le #COVID : non le koutoukou (alcool local) ne soigne pas, pas plus que l’ail ou le piment. #CIV225 pic.twitter.com/XGO0SudOfP
— Florence Richard (@FlorenceRic) March 17, 2020
Mais ces boissons ont bien souvent des effets dévastateurs insoupçonnés ou ignorés sur le consommateur, tant au regard de leurs composants que de leurs conditions de production. Si bien qu’elles peuvent constituer un problème de santé publique.
Une nouvelle ère
C’est le cas de Carole Kouassi-Kotcha qui a lancé sa propre marque en 2020. Elle propose du Koutoukou raffiné, décliné en plusieurs saveurs: ananas, menthe, mangue, passion...
«Le Koutoukou fait partie des rites de réceptions et de cérémonies des familles ivoiriennes. Cependant, il a toujours été proposé dans sa forme brute. Ainsi, lorsqu’il s’agit de trouver des spiritueux haut de gamme, la demande se porte systématiquement vers des marques importées», déclare la jeune femme au micro de Sputnik.
Cette basse perception du Koutoukou par les Ivoiriens, et cela malgré sa popularité indéniable, elle souhaite la corriger en démontrant qu’il est possible de «faire de belles choses avec nos produits nationaux». «Avec mon équipe, on s’est lancé le défi de faire de cette boisson une marque de spiritueux locale qui rivalise en goût et en qualité avec tout ce que l’on peut importer. Notre entreprise a beau avoir moins d’un an, les formules de nos différentes saveurs ont été inspirées de recettes transmises par des anciens, comme un héritage», poursuit-elle.
Pour Carole Kouassi-Kotcha, ainsi que pour tous les autres qui ont décidé d’embrasser ce marché au potentiel certain, il est crucial de mettre un point d’honneur à sélectionner les meilleures matières premières. Et les ingrédients utilisés se veulent généralement naturels, sans aucun additif chimique ni essence de fruits, colorant ou autre conservateur.
Dans leur quête de l’excellence, ces jeunes producteurs n’hésitent pas à multiplier les tests en laboratoire pour sélectionner les saveurs les plus enivrantes. Mais si la qualité est essentielle, elle ne fait pas tout. Un packaging attrayant est également nécessaire. C’est là aussi un paramètre sur lequel ils planchent de plus en plus afin de proposer des flacons au design épuré qui n’auraient rien à envier aux plus belles bouteilles importées. Le marketing est ainsi mis au service du même objectif: se débarrasser du lourd passif qui entache l’image de ces marques.
Des boissons populaires mais potentiellement dangereuses
S’il y a deux boissons qui comptent parmi les spiritueux locaux les plus populaires en Côte d’Ivoire, ce sont bien le bandji et le koutoukou, dont la production est essentiellement artisanale. Et leur coût très peu élevé est pour beaucoup dans leur accessibilité.
Le bandji, ou vin de palme, est issu de la fermentation naturelle de la sève de palmier. Mais le déroulement très rapide de cette phase peut en faire une boisson à la consommation particulièrement dangereuse au bout d’un certain temps. Aussi sa commercialisation nécessite-t-elle de maîtriser quelques techniques supplémentaires de conservation.
@PSecours225 Drame à Abatta . Les boissons d’un « Koutoukoudrome » empoisonnés . Bilan : 05 Décès pic.twitter.com/etkqzrdkku
— Assane Coulibaly (@AssaneCoulkeita) July 2, 2019
Le Koutoukou a pour matière première le bandji (mais ce breuvage peut, également, être produit avec de la canne à sucre ou certains fruits). C’est une liqueur dont le processus traditionnel de fabrication fait qu’elle a souvent une forte teneur en alcool –propanol, méthanol, éthanol... Et bien entendu, seul l’éthanol est véritablement propre à la consommation.
En juin 2019, l’absorption de koutoukou frelaté aux pourcentages de méthanol et de propanol anormalement élevés avait ainsi occasionné la mort de huit personnes à Abatta, un village de la commune de Bingerville à environ 20 km d’Abidjan.
La classe moyenne visée
Si l’idée est de faire en sorte que leurs boissons soient accessibles à tous, les nouveaux producteurs ivoiriens ne cachent pas qu’ils visent surtout une clientèle de classe moyenne, en plein essor ces dernières années et aux habitudes de consommation occidentalisées.
«De nombreux jeunes cadres sont férus de boissons importées qu’ils consomment lors d’afterworks réguliers. Leur proposer une alternative locale de qualité peut se révéler particulièrement lucratif», souligne Aziz Doumbia, qui produit depuis un peu plus d’un an une liqueur de palme aromatisée.
Mais en attendant de conquérir, comme il se doit, le marché ivoirien et de viser l’exportation, tous ces jeunes producteurs sont confrontés à la délicate équation de l’entrepreneuriat en Côte d’Ivoire.
«L’environnement des affaires n’est pas très propice aux jeunes entrepreneurs du pays, dont les sociétés ne sont pas exonérées d’impôt sur une, voire deux ou trois années, comme cela se fait ailleurs», regrette Clovis Djirebo dans une déclaration à Sputnik.
Le promoteur de «Jecompare.ci», la première plate-forme de comparaison des offres bancaires en Côte d’Ivoire, fait allusion aux pesanteurs administratives et légales, de même qu’aux délais de création d’une entreprise qui peuvent prendre jusqu’à plusieurs mois, et qui s’avèrent bien souvent rédhibitoires.