«Ce qu’on appelle l’islamogauchisme fait des ravages. Il fait des ravages à l’université, il fait des ravages quand l’UNEF cède à ce type de choses […] Ces gens-là favorisent une idéologie qui ensuite, de loin en loin, mène au pire.»
La phrase n’est pas d’Éric Zemmour, mais de Jean-Michel Blanquer. C’était le 22 octobre dernier sur l’antenne d’Europe 1. Le ministre de l’Éducation nationale entendait alors dénoncer ce qu’il nommait les «complices intellectuels» de l’assassinat du professeur Samuel Paty, commis une semaine auparavant.
Les deux élus de droite s’inquiètent ainsi de «l’importation depuis les États-Unis d’une “cancel culture” qui désigne la volonté de réduire au silence dans l’espace public tous ceux qui portent des paroles ou un comportement jugés “offensants”», ainsi que de «l’existence de courants “islamogauchistes” puissants dans l’enseignement supérieur.»
🔴 [COMMUNIQUÉ DE PRESSE]
— Julien Aubert (@JulienAubert84) November 25, 2020
Avec @damienabad, nous demandons au président de l'Assemblée nationale de créer une mission d’information sur les dérives intellectuelles idéologiques dans les milieux universitaires.#CancelCulture #islamogauchisme pic.twitter.com/xyniKHgMO0
«Des idéologues en décalage absolu»
Interrogé par Sputnik, Julien Aubert explique le sens de cette requête par le fait que «le sectarisme se développe de plus en plus à l’université». Il en veut pour preuve «ces professeurs qui se sont fait barrer la route de telle ou telle université».
«Dans le domaine de la culture de l’annulation, il s’agit de cours obsessionnellement centrés sur les thématiques de race, de colonialisme ou de genre. C’est l’imposition aux professeurs d’utiliser l’écriture inclusive, ou encore la mise au placard ou le musellement d’opinions dissidentes», avance le député LR Julien Aubert au micro de Sputnik.
Dans le communiqué, les deux parlementaires citent ainsi «l’impossibilité de faire des conférences dans les instituts d’études politiques et les universités.» En janvier dernier, le directeur de Sciences Po Lille, Pierre Mathiot, avait par exemple interdit la présence du directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, Geoffroy Lejeune, invité pour une conférence sur l’état de la droite. Le motif invoqué: une condamnation en 2015 de l’hebdomadaire après la publication d’un dossier sur les Roms. La conférence avait finalement été annulée, au grand dam des organisateurs, qui dénonçaient à l’époque une décision «hypocrite».
Julien Aubert considère que de telles pratiques menacent de «tuer l’université» à terme. Pour l’élu du Vaucluse, la censure, qu’elle vienne d’en haut ou qu’elle s’exerce par la pression des associations et des syndicats étudiants, peut très vite mener à «l’endoctrinement des esprits», voire à l’autocensure:
«Ceux qui sortent des universités risquent d’être des idéologues en décalage absolu par rapport aux attentes de la société. Le risque est également de faire fuir les professeurs et les élèves qui ne partageraient pas cette idéologie, par peur d’être muselés.»
Mais d’où nous vient cette pratique de «cancel culture», qui signifie littéralement «culture du bannissement» ou «culture de l’annulation» et qui voudrait qu’une voix non autorisée ou discordante devrait être mise au ban, voire totalement interdite? Popularisée avec le mouvement #MeToo en 2017, la «cancel culture» n’est-elle qu’une forme d’excommunication remise au goût du jour?
«Courant de pensée à la Frankenstein»
Dans une tribune publiée en août dernier sur le site de Marianne, plusieurs intellectuels de gauche dénonçaient cette «méthode importée des États-Unis, qui consiste à essayer de détruire l’existence d’une personnalité qui aurait tenu des propos offensants du point de vue de certains.»
«Nous sommes heureux et fiers de vivre dans un pays où, contrairement aux États-Unis, le débat d’idées reste fondé sur l’échange d’arguments, et non pas sur des tirs croisés d’appels à “effacer” (to cancel) celui qui exprime une opinion différente», poursuivent ces derniers.
Julien Aubert, qui cite cette tribune dans son courrier adressé au Président de l’Assemblée nationale, souscrit totalement à cette analyse:
«Il y a un courant de pensée à la Frankenstein entre une gauche altermondialiste, qui s’inspire de ce qui se passe sur les campus américains, et les mouvements plutôt conservateurs fondamentalistes, qui se rejoignent effectivement. Nous importons en France des combats plaqués sur l’espace culturel américain qui possède une histoire et des références différentes.»
Récemment, Bari Weiss, l’ancienne responsable des pages opinions du New York Times, tentait d’expliquer la montée des revendications identitaires aux États-Unis.
«Casser la République en deux»
Mise à l’index, excommunication, chasse aux sorcières, délation: les nouveaux militants antiracistes ressemblent en effet à s’y méprendre aux inquisiteurs du Moyen-Âge en France et en Europe. De là à parler de «Parti Dévot Global», pour reprendre une expression chère à l’écrivain Philippe Muray?
De son côté, Julien Aubert diagnostique ce qu’il appelle une «quête de sens» et un besoin de «radicalité»:
«C’est une réaction à une forme de matérialisme consumériste, que certains appelleraient bourgeois ou occidental. La perte d’intégration de la culture judéo-chrétienne, pas seulement religieuse d’ailleurs, peut expliquer ce phénomène. Cette jeunesse, en quête de radicalité, va puiser ses références dans des combats qui lui semblent clairs et manichéens», théorise Julien Aubert
Le gouvernement prend-il la mesure de ce basculement idéologique au sein du milieu universitaire? En juin dernier, Emmanuel Macron confiait son inquiétude face au mouvement de protestation contre les violences policières et le racisme. Les secousses de l’affaire George Floyd se faisaient alors sentir dans le pays et le Président craignait des débordements étudiants. «Le monde universitaire a été coupable. Il a encouragé l’ethnicisation de la question sociale en pensant que c’était un bon filon. Or, le débouché ne peut être que sécessionniste. Cela revient à casser la République en deux», confiait-il alors en off au Monde.
Quand on l’interroge à ce sujet, Julien Aubert se montre sceptique:
«La classe politique sent confusément ce basculement, mais ne l’accepte pas forcément. C’est l’idée qu’il ne faut pas punir, mais sans cesse expliquer, être pédagogue, aller vers l’autre, etc. Or, il faut diagnostiquer et caractériser le mal dans sa profondeur. Il faut établir les convergences: l’islamogauchisme et la culture de l’annulation sont-ils propagés par les mêmes personnes? Ces deux types de dérives produisent en tout cas un résultat identique: l’ostracisme. Personnellement, je ne suis pas certain que le gouvernement soit prêt à renverser certains sacro-saints tabous», conclut-il.