Difficile jeu d’équilibriste financier auquel doivent se prêter les gouvernements de la zone euro. Comme vient de le rappeler la Banque centrale européenne (BCE) ce 25 novembre, les milliards d’euros débloqués pour soutenir une économie fortement impactée par la pandémie de Covid-19 devront continuer de couler pour un temps sous peine de voir la fragile reprise tuée dans l’œuf. Une «fin brutale [...] pourrait entraîner [...] une contraction économique plus sévère que pendant la première vague de la pandémie», alerte la Banque centrale dans son dernier rapport semestriel sur la stabilité financière.
"Coronavirus: La BCE souligne les risques d'un arrêt des aides à l'économie" à la recherche du bon mix ni trop tôt (« edge cliff » au 1er semestre 2032) ni trop tard (avec grand risque sur la croissance future) reu 24/11/20
— Baechler Yves-Michel (@ymbaechler) November 24, 2020
Les gouvernements de la zone euro, à l’instar de bon nombre de leurs partenaires à travers le monde, ont été dans l’obligation de débloquer d’importants fonds pour venir en aide à des secteurs sinistrés. Paris a ainsi mis 100 milliards d’euros sur la table dans le but de redresser l’économie. Des garanties publiques sur les prêts bancaires, des moratoires sur leur remboursement, des dispositifs de chômage partiel ainsi que des reports de charges et des aides sectorielles ont été mises en place.
«Une impasse»
Jusqu’à quand le gouvernement pourra-t-il soutenir à bout de bras des pans entiers de l’économie?
«C’est une très bonne question. Nous sommes dans un système qui a voulu que de nombreuses entreprises arrêtent de travailler. Il a donc fallu les aider pour faire face. Il est évident qu’en cas d’arrêt de ces soutiens, beaucoup se retrouveraient en faillite», répond au micro de Sputnik l’économiste et enseignant Guillaume Travers.
Ce 25 novembre sur France Inter, Bruno Le Maire indiquait que le nouveau dispositif d’aide aux entreprises qui sont contraintes de rester fermées prévoit de les indemniser à hauteur de 20% du chiffre d'affaires. Une manœuvre qui coûtera d’après le ministre de l’Économie la bagatelle de 1,6 milliard d'euros par mois à l'État.
«Nous changeons totalement le dispositif [...] pour pouvoir couvrir non pas les plus petites entreprises, mais couvrir toutes les entreprises, sans exception, qui sont fermées», a expliqué Bruno Le Maire.
Certains secteurs devraient en avoir particulièrement besoin. Si les petits commerçants ont obtenu gain de cause et pourront rouvrir dès le 28 novembre, les restaurants, bars et autres discothèques restent dans le flou. Si les premiers pourraient de nouveau accueillir des clients le 20 janvier, aucune date précise n’a été évoquée pour les bars et boîtes de nuit.
Une situation plus que chaotique qui fait dire à la BCE que si le soutien devait brusquement s’arrêter, les entreprises les plus impactées par les restrictions, comme celles du secteur de la gastronomie, «pourraient faire face à de graves problèmes de solvabilité ou à un déséquilibre plus durable de leurs modèles économiques [...] alors même que le reste de l'économie se rétablirait».
«Les gouvernements se sont mis dans une impasse par la manière dont a été gérée cette crise, notamment le confinement, en France et dans d’autres pays. Il me semble très difficile d’éviter une vague de faillites. La question serait plutôt de savoir quand elle aura lieu. Est-ce qu’on la repousse de quelques mois? Malheureusement, vu les circonstances, elle semble inévitable», analyse Guillaume Travers, également contributeur de la revue «Éléments».
Pour l’économiste, il est néanmoins possible de tirer parti de cette situation catastrophique: «N’est-ce pas le moment de rééquilibrer le système économique pour viabiliser davantage certaines entreprises?», s’interroge-t-il.
«Je pense notamment au rapport entre petits commerces et commerce en ligne. C’est très bien de vouloir défendre les petits commerçants. J’en suis le premier partisan. Mais il faut bien constater qu’ils ne font pas le poids contre des entreprises comme Amazon qui paient très peu d’impôts en France et dont les employés travaillent dans des conditions très controversées.»
Guillaume Travers assure que si «les mesures de soutiens sont nécessaires pour éviter les faillites», il faut qu’elles s’accompagnent «d’un rétablissement des équilibres économiques» afin de «les rendre viables structurellement». Essayer de rendre la concurrence moins déloyale entre Amazon et les petits commerces, voici un bon exemple de ce qu’il faudrait faire, estime-t-il.
«Nous ne pouvons pas continuer cela sur le long terme»
D’autant plus que la situation actuelle creuse fortement les dettes. D’après l’institution dirigée par Christine Lagarde, le risque de défaillances en chaîne «est exacerbé» par le fait que de nombreuses entreprises, ménages, mais aussi États se retrouvent fortement endettés suite à la première vague de pandémie.
Une récente étude de l’Institute of International Finance montre que l’endettement mondial devrait atteindre le record de 277.000 milliards de dollars (233.400 milliards d’euros) d’ici la fin de l’année. En France, la dette publique devrait avoisiner les 120% du PIB au 31 décembre. Un chiffre récemment évoqué sur Europe 1 par Pierre Moscovici: le Premier président de la Cour des comptes a prévenu les Français que «c’est leur argent» et que «c’est leurs enfants qui paieront demain».
Le BCE souligne que les aides gouvernementales doivent rester «ciblées sur le soutien économique lié à la pandémie» afin d’éviter «les problèmes de viabilité de la dette à moyen terme». En mai dernier, le banquier central estimait que le risque d'éclatement de la zone euro pouvait à nouveau devenir une réalité avec la récente explosion de l'endettement public dans de nombreux pays. D’après les calculs de l’IIF, la dette cumulée de la zone euro a augmenté de 1.500 milliards de dollars lors des neuf premiers mois de l’année, atteignant 53.000 milliards à la fin du mois de septembre.
«Nous ne pouvons pas continuer cela sur le long terme. S’il suffisait d’emprunter pour sauver l’économie, cela se saurait», conclut Guillaume Travers.