Les Français ont-ils la nostalgie des militaires? Inconnu du grand public avant 2017 et sa guerre ouverte contre Emmanuel Macron sur les restrictions du budget alloué à la Défense, l’ex-Chef d’État-major des Armées (CEMA) bénéficie depuis d’une aura étonnante. Il serait aujourd’hui adoubé par un cinquième des Français, selon un sondage pour Valeurs actuelles, qui lui consacre sa dernière Une.
Ainsi, après une démission historique de ses fonctions au lendemain du 14 juillet 2017 et la parution d’un premier livre (Servir, Éd. Fayard, 2020), celui qui officie désormais pour le puissant cabinet de conseil Boston Consulting Group n’a pas disparu des écrans médiatiques. De là à penser qu’il ne cesse de se positionner habilement, il n’y aurait qu’un pas.
Profitant de la crise de légitimité vécue par le Président de la République lors du mouvement des Gilets jaunes, fin 2018, il s’érige en rassembleur, partisan d’une autorité respectueuse, et distille ses conceptions du pouvoir dans un deuxième ouvrage, Qu’est-ce qu’un chef? (Éd. Fayard, 2018), lequel sonne comme une provocation à l’adresse d’un chef d’État empêtré dans les manifestations. Certains Gilets jaunes en ont d’ailleurs rapidement fait un symbole de leadership et de justice: l’un de leurs porte-paroles, Christophe Chalençon, avait émis en novembre 2018 l’idée d’un putsch qui placerait le général à Matignon.
Villiers, chef de guerre ou manager?
Progressivement, donc, le frère de Philippe –fondateur du Puy du fou, ancien ministre, député européen et candidat malheureux à deux élections présidentielles– semble se tailler une place de choix dans l’opinion publique. L’idée d’une candidature à la magistrature suprême commence à germer dans certains esprits. Une hypothèse confortée par la sortie cette année d’un nouveau livre programmatique pour «réconcilier» la France (L’équilibre est un courage, Éd. Fayard) et amplifiés par le regain d’actes terroristes, au sujet duquel l’auteur est particulièrement sollicité dans les médias.
Dans les pages de Paris Match ou au micro de Léa Salamé sur France Inter, l’intéressé voit s’ouvrir de nombreuses portes, mais continue de réfuter l’hypothèse de sa candidature. Pourtant, à droite, l’excitation est palpable. Sur CNews, Éric Zemmour y voit un signe de l’histoire:
«Quand la patrie est en danger, on va chercher un général. Quand la révolution est en danger, on va chercher Bonaparte; quand la France est en danger face au bellicisme allemand de Bismarck, on va chercher le général Boulanger; quand c’est la guerre d’Algérie et que la IVe République est menacée, on va chercher le général de Gaulle. C’est ce contexte qui favorise l’émergence du général de Villiers.»
De son côté, le Maire de Béziers, Robert Ménard, partisan d’une union des droites, se montre plus sceptique: «dès qu’un mec affiche quelques étoiles ou des galons, on croit qu’il est de Gaulle» aurait-il déploré, relate Valeurs actuelles. Accompagnant le sondage inédit de l’IFOP, le magazine conservateur centre son dernier numéro sur la figure politique incarnée par l’ancien CEMA reconverti dans le consulting. Ainsi trouve-t-on dans l’hebdo une longue interview du personnage et un portrait enthousiaste de celui qui semble pratiquement être leur président idéal.
20% des Français seraient prêts à voter pour le général de Villiers s'il était candidat en 2022 selon une étude @IfopOpinion pour @Valeurs #Présidentielle https://t.co/YuTBs75P3L pic.twitter.com/v2RKyjGkkH
— Charles Sapin (@csapin) November 20, 2020
Le sondage en question, réalisé par l’IFOP sous la direction de Jérôme Fourquet, souligne toutefois certaines réalités électorales. L’étude avance que 20% des personnes sondées se disent prêts à un envisager un vote en faveur de Pierre de Villiers. À titre de comparaison, rappelle l’institut, 13% formulent la même réponse concernant Jean-Marie Bigard, 12% s’agissant d’Éric Zemmour et 9% pour Michel Onfray.
Ces chiffres appliqués au général de Villiers ne semblent donc pas négligeables, et auraient surtout un haut potentiel d’évolution, puisque 42% des sondés avouent ne pas connaître «cette personnalité». Pierre de Villiers pourrait donc compter sur une marge d’adhésion potentiellement supérieure, explique Jérôme Fourquet à Sputnik:
«S’il a réellement des velléités de candidature, alors il doit d’abord franchir le premier mur du son, qui est celui de la notoriété. Avec près d’un Français sur deux qui ignore qui il est, son impératif premier est de se faire connaître et des articles comme celui de Valeurs actuelles vont dans ce sens.»
De fait, malgré la présence médiatique de l’hypothétique candidat et ses 250.000 exemplaires vendus en librairie, la quasi-moitié de la population ne l’identifie pas: une partie considérable des Français échappe donc encore à son discours.
Un «effet d’exposition» à relativiser
De plus, si les résultats du sondage montrent un intérêt notable de chaque côté de l’échiquier politique (15% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon et 12% des électeurs de Macron), l’adhésion n’est pas encore assez solide:
«Les 20% qui ressortent de cette enquête ne sont pas des intentions de vote, mais un potentiel électoral; en réalité, on est plus proche des 6%. Les sondés répondent à la question “Seriez-vous prêt à voter pour le général Pierre de Villiers, s’il était candidat”, ils ne le choisissent pas parmi d’autres candidats. Les réponses apportées sont des “oui” potentiels et lorsqu’on observe le niveau de certitude il devient quasi nul pour les électeurs de gauche et de la République en Marche», explique Jérôme Fourquet, responsable du pôle «Opinions et Stratégies» de l’IFOP.
«La publication de sondages de ce type ou même le choix de mettre une personnalité comme celle-ci en couverture d’un magazine a pour effet d’entretenir le bruit qui est fait autour d’une éventuelle candidature. Ce procédé n’est évidemment pas totalement anecdotique ou neutre, mais l’intérêt pour un tel sujet ne tombe pas du ciel, si le sondage est commandé, c’est qu’il y a un événement.»