Guinée, Côte d’Ivoire et désormais Burkina Faso, en Afrique de l’Ouest… les élections présidentielles sont décidément loin d’être un long fleuve tranquille.
Jusqu’à présent, la principale inquiétude quant aux élections couplées présidentielle-législatives au Burkina Faso demeurait la menace djihadiste. Rien qu’en 2020, le terrorisme a fait près de 2.000 morts (civils et militaires), selon Armed Conflict Location & Event Data Project (Acled), une ONG de collecte et d’analyse de données sur les violences armées et politiques. Mais finalement, ce sont les allégations de fraudes qui risquent de faire basculer le pays dans une crise postélectorale.
«Des fraudes massives»
Le 23 novembre, à peine quelques heures après le début de la proclamation des résultats provisoires par la Commission électorale nationale indépendante (CENI), la conférence des candidats de l’opposition a émis face à la presse de «très fortes réserves sur la sincérité et la crédibilité du scrutin».
Signataires en août d’un accord électoral (qui prévoit que chacun s’oblige à soutenir celui qui arriverait au second tour), ces sept candidats sur les treize de l’élection présidentielle estiment que la CENI a «failli dans l’organisation administrative et pratique» du scrutin, par ailleurs «émaillé de fraudes».
«Ces élections ont été un désastre. De nombreux cas de fraude ont été relevés dans plusieurs localités. On a notamment découvert des bulletins de vote parallèles, des cartes d’électeurs ont été achetées en masse par le parti au pouvoir et on ignore à quelle fin, des billets de banque ont été distribués pour inciter les gens à aller voter pour le Président sortant, des urnes ont été retrouvées au domicile de particuliers. Nous disposons de preuves vidéo de personnes prises en flagrant délit», a déclaré le député Moussa Zerbo, porte-parole du candidat et chef de file de l’opposition Zéphirin Diabré, joint par Sputnik.
Des tentatives de fraude ont également été dénoncées par des leaders politiques au sein de la majorité présidentielle. C’est notamment le cas d’Issa Anatole Bonkoungou, député-maire de l’arrondissement 4 de Ouagadougou qui, quelques jours avant le double scrutin, avait présenté à la presse des spécimens falsifiés du bulletin de vote prévu pour les législatives. Ces faux proviendraient, selon l’homme politique, d’une imprimerie appartenant à un responsable du MPP, le parti du Président.
«Au vu de tout ceci, nous estimons que les résultats communiqués par la CENI ne sauraient être crédibles et donc nous ne pouvons les accepter», a ajouté Moussa Zerbo.
L’opposition, dont les militants menacent de descendre dans la rue, a ainsi rappelé tous ses représentants à la CENI, obligeant la commission à suspendre la proclamation des résultats.
Et maintenant?
Déjà le 21 novembre, soit la veille des élections, l’opposition avait annoncé avoir porté plainte pour tentatives de fraude auprès du procureur du Faso Harouna Yoda. En attendant que la lumière soit faite, le processus électoral demeure dans l’impasse.
Pour le journaliste et analyste politique Boureima Salouka interrogé par Sputnik, «s’il est un fait établi que sur le plan organisationnel, le scrutin a connu des insuffisances (bureaux non ouverts, absence de matériel de votes...), les menaces de rejet des résultats pour fraudes restent une stratégie» de l’opposition qui mettra à l’épreuve son union.
Car au-delà de la bataille juridique, c’est un bras de fer postélectoral de nature politique entre un Président bénéficiant de «la prime au sortant» –qui englobe dans les pays de la région l’utilisation des moyens de l’État– et l'opposition.
Vers une crise postélectorale?
Près de 6,5 millions d’électeurs étaient appelés aux urnes dans environ 21.000 bureaux de vote. Ces élections du 22 novembre constituaient les deuxièmes scrutins présidentiel et législatifs démocratiques au Burkina Faso depuis la chute fin octobre 2014 de Blaise Compaoré, qui a passé 27 ans au pouvoir. Mais finalement, entre «300.000 et 350.000 Burkinabè», a indiqué le président de la CENI Newton Ahmed Barry, n’ont pu exercer leur droit de vote en raison des conditions sécuritaires précaires dans certaines parties du pays.
Si les allégations de fraudes imputées au pouvoir de Roch Kaboré laissent présager une possible crise postélectorale, pour plusieurs observateurs, dont Salouka Boureima, «les scénarios ivoirien et guinéen sont à écarter pour la simple raison que les contextes et problèmes ne sont pas les mêmes».
«Au Burkina Faso, il n’y a pas eu de boycott du scrutin comme en Côte d’Ivoire. La CENI, l’organe qui organise les élections, n’est pas contestée et le fichier électoral a été validé par tous les acteurs. Par ailleurs, il y a une société civile plus forte et plus dynamique qu’en Guinée et en Côte d’Ivoire. À ces facteurs, il convient de relever qu’actuellement, aucun leader politique ne serait capable de mobiliser les populations pour de larges et violentes contestations. Le Burkina Faso, ne l’oublions pas, souffre déjà de sa situation sécuritaire et les citoyens ne sont pas prêts à se lancer dans cette aventure», analyse le journaliste.