Cannabis, ecstasy, cocaïne, Tramadol*… Si le menu reste varié, la recette n’est plus la même. En moins d’un mois, au cours de cet automne 2020, plus d’une dizaine de tonnes de drogue ont été interceptées par les forces de l’ordre dans les pays du Maghreb.
Au Maroc, pays considéré par l’Office de l’ONU contre la drogue et le crime (ONUDC) comme l’un des principaux producteurs mondiaux de résine de cannabis, les quantités saisies battent des records.
Pas plus tard que ce samedi 14 novembre, des éléments de la Marine Royale marocaine, en mission de patrouille en Méditerranée, ont mis en échec deux tentatives de trafic de près de trois tonnes de chira (extrait concentré du cannabis cultivé principalement dans la région montagneuse du Rif, dans le nord du royaume). Cet impressionnant coup de filet intervient quelques jours après la saisie de deux tonnes de cette même substance réalisée le mercredi 11 novembre au large d’El Jebha (nord-ouest du pays).
Avortement en Méditerranée d’une opération de trafic de stupéfiantshttps://t.co/UplhYskBKG
— Medi1TV Afrique (@Medi1tvAfrique) November 14, 2020
Près de mille kilomètres plus loin, en Algérie, la police judiciaire de la Sûreté de la wilaya de Mostaganem (ouest du pays) a, elle aussi, réussi à mettre la main sur plus de 157 kilogrammes de cannabis, lundi 16 novembre. Son voisin de l’est n’a pas échappé à ce qui semble être une vague qui déferle sur la région. La Direction générale de la garde nationale tunisienne (DGGN) a annoncé mercredi 11 novembre avoir démantelé à son tour un réseau spécialisé dans la contrebande de médicaments. Au total, 1.563 comprimés de stupéfiants et un morceau de «Tamra» (datte en arabe, une métaphore employée pour désigner les boules de cannabis) ont été saisis par la police.
Les saisies se suivent et ne se ressemblent pas
Malgré le contexte particulier de la crise pandémique qui met partout les déplacements sous haute surveillance, les organisations criminelles maghrébines n’abandonnent pas leurs trafics. Ils inventent des stratagèmes pour s’adapter aux nouveaux obstacles imposés à leur commerce illégal. D’ailleurs, dans un rapport de 45 pages intitulé «Conséquences de la pandémie de Covid-19 sur le marché de la drogue», datant du début du mois de mai 2020, l’UNODC avait prévenu autorités et responsables concernés des nouveaux modes opératoires.
«Il semble que les groupes de trafiquants adaptent leurs stratégies [...]. À long terme, les conséquences économiques de la pandémie ont le potentiel de conduire à une transformation durable et profonde des marchés de la drogue», prévient l’UNODC.
Interrogé sur cette éventualité, Raouf Farrah, chercheur senior pour l’organisation Global Initiative Against Transnational Organized Crime (GITOC) –un think tank international qui travaille sur le crime organisé et en particulier le trafic de drogues illicites–, estime que les changements de modus operandi sont déjà une réalité au Maghreb.
«Les réseaux de trafic maghrébins se sont déjà adaptés au contexte du Covid-19. Ils utilisent notamment les routes clandestines, transportent de plus petites quantités et restructurent les schémas de livraison au sein des pays récepteurs. Ces réseaux ont aussi privilégié les voies maritimes aux passages terrestres ou aériens au regard des restrictions qui vont avec la pandémie. In fine, la drogue arrive à destination mais le trajet dure plus longtemps qu’avant la crise sanitaire», décrypte l’expert algérien au micro de Sputnik.
Pour Raouf Farrah, les importantes saisies que connaît le Maghreb, ces dernières semaines, montrent l’ampleur du phénomène et la vivacité du marché. «Chaque année, des tonnes de drogues sont interceptées dans les pays maghrébins –surtout au Maroc, dans une moindre mesure en Algérie et encore moins en Tunisie. Les circuits de trafic du hashish marocain sont extrêmement bien implantés dans l’ensemble de la région. Ceux qui partent du nord du Maroc pour alimenter les marchés européens semblent être moins impactés par la crise sanitaire que le trafic intermaghrébin», souligne l’analyste du GITOC.
«Pour limiter les pertes, les trafiquants ont augmenté leurs tarifs. Le prix des stupéfiants est en moyenne plus cher dans l’ensemble du Maghreb. L’offre a connu une baisse à cause des restrictions de la mobilité imposées par le Covid-19 et du temps d’ajustement des réseaux. Mais la demande, elle, est toujours élevée et constante. Il ne faut pas l’oublier», conclut-il.
Trafic endémique
Une réalité que confirme l’UNODC en notant que c’est le haschich qui demeure le plus réclamé. «Il existe des signes indiquant que le confinement conduit à une augmentation de la demande de cannabis, ce qui pourrait intensifier le trafic entre l’Afrique du Nord et l’Europe», peut-on lire dans son rapport précité.
«Entre les mois de mars et de septembre 2020, les services de police à eux seuls ont intercepté plus de 119 tonnes de résine de cannabis, soit bien plus qu’à la même période de l’année dernière qui avait totalisé 80 tonnes de saisies de ce produit. La différence est donc une hausse de près 50%.»
*Médicament antidouleur fort de la classe des opioïdes utilisé comme drogue.