Accord de libre-échange asiatique: «victoire pour Pékin»? «Il ne faut pas diaboliser tout ce que font les Chinois»

© AFP 2024 FAZRY ISMAILXi Jinping au sommet de l'APEC en 2018
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Ce 15 novembre, la signature d’un accord de libre-échange majeur entre quinze pays d’Asie et du Pacifique, notamment avec la Chine, renforce-t-elle l’influence de Pékin dans la région? Décryptage de la portée de ce traité avec l’économiste Jean-Paul Tchang et le géopoliticien Barthélémy Courmont.
«Dans les circonstances mondiales actuelles, le fait que le RCEP [Regional Comprehensive Economic Partnership, ndlr] ait été signé après huit ans de négociations apporte un rayon de lumière et d’espoir au milieu des nuages.»

Le Premier ministre chinois Li Keqiang se réjouissait ainsi de la signature, ce 15 novembre, du RCEP, le Partenariat régional économique global, par quinze pays d’Asie et du Pacifique. Il s’agit de l’accord commercial le plus important au monde: il touche 30% du PIB mondial et deux milliards d’habitants. Son objectif est de créer une vaste zone de libre-échange entre les 10 états de l’ASEAN (Indonésie, Thaïlande, Singapour, Malaisie, Philippines, Vietnam, Birmanie, Cambodge, Laos et Brunei), la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.

Un accord qui arrive à point nommé pour certains signataires en lourde récession, comme l’Indonésie et les Philippines, touchées de plein fouet par les conséquences de la pandémie. Mais c’est également une aubaine pour Pékin, dont la croissance est repartie de plus belle, avec 4,9% au troisième trimestre. Après le retrait américain du TPP (traité de libre-échange transpacifique) en janvier 2017, cet accord peut-il renforcer le poids politico-économique de la Chine en Asie?

Un accord «strictement économique»…

L’économiste Jean-Paul Tchang, cofondateur de La lettre de Chine, newsletter mensuelle traitant de l’économie, la diplomatie et l’industrie chinoise, indique à Sputnik que c’est un accord négocié depuis 2012 par les dix pays de l’ASEAN, qui ont eux-mêmes «invité cinq autres pays à adhérer à cet accord», dont la Chine. Celui-ci estime très positive la conclusion de ce traité qui concernera «90% des marchandises qui circulent dans la région» sur lesquelles les exportations seront moins onéreuses et bénéficieront de l’harmonisation des procédures. L’économiste est enthousiaste sur la facilitation des échanges que ce gigantesque accord permettra sur les «matières premières et transformées». Il prend pour exemple la laine australienne, qui pourra «être importée sans taxes en Chine» pour être transformée puis réexportée ensuite «sous forme de produits finis dans les pays de l’ASEAN.»

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Rappelant qu’il s’agit d’une «initiative venue de l’ASEAN et non de la Chine», Jean-Paul Tchang considère que ces pays d’Asie du Sud-Est ont un regard réaliste sur l’économie de la région:

«Ils voient bien que les échanges dans cette région existent, se démultiplient et qu’ils ont tout à fait intérêt à arriver à des accords tarifaires entre les pays fournisseurs de matières premières, de produits finis, et les pays consommateurs, dont la Chine. Le marché chinois est très important pour tous les pays de l’ASEAN et pour leurs exportations.»

Barthélémy Courmont, chercheur à l’IRIS, spécialiste des enjeux politiques en Asie, confirme à Sputnik qu’il s’agit bien d’un accord «strictement économique» afin de «renforcer l’interdépendance des économies asiatiques» durement confrontées à la crise qui se profile dans le sillage de la pandémie.

Pourtant, il estime que cet accord est révélateur du «rôle central de la Chine dans l’économie asiatique», dont prennent acte ses voisins asiatiques et du Pacifique. Il s’agit donc clairement d’une «victoire pour Pékin», qui ne bénéficiait pas de ce type de traité jusqu’à présent. «Cela montre clairement que le multilatéralisme est la bonne voie et représente la bonne direction de l’économie mondiale et du progrès de l’humanité» a expliqué le Premier ministre chinois Li Keqiang.

Un accord qui renforce la puissance chinoise?

Ce pacte «consolide les ambitions géopolitiques régionales plus larges de la Chine autour des “nouvelles routes de la soie” (“Belt and Road Initiative” en anglais)», analyse pour l’AFP Alexander Capri, professeur à la Business School de l’Université Nationale de Singapour. Jean-Paul Tchang rejette en bloc cette analyse selon laquelle ce traité de libre-échange constituerait une extension de l’influence chinoise dans la région:

«Ce ne sont pas les Chinois qui ont imposé cet accord à qui que ce soit, ils y ont été invités. Il y a une interprétation exagérée de l’Occident sur l’influence de la Chine et ses intentions expansionnistes. Alors que tout l’historique de la progression de ces négociations et l’attitude très souveraine des différents pays de l’ASEAN montrent qu’il ne faut pas exagérer.»

Critiquant cette «tendance à diaboliser systématiquement tout ce que font les Chinois», l’économiste refuse d’y voir un signe d’une domination géopolitique croissante de Pékin. Il distingue alors ceux qui en Asie pensent aux faits concrets, «à l’économie, à la croissance», des pays occidentaux qui sont «tellement obsédés» par les «interprétations idéologiques».

Ce pacte géant interasiatique est-il vraiment une réponse au TPP, abandonnée par Donald Trump en 2017? Barthélémy Courmont appelle à remonter le temps pour appréhender au mieux les enjeux du RCEP. Confrontée alors au pivot asiatique de Barack Obama, pour Pékin, «c’était clairement un objectif de contrer ces ambitions» américaines en proposant de nouvelles initiatives, notamment «un accord de libre-échange avec l’ASEAN», aux grandes ambitions en incluant la Corée du Sud, le Japon, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, tous alliés traditionnels des États-Unis. Seule l’Inde a pour le moment refusé d’intégrer ce pacte.

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La signature de cet accord de libre-échange «coïncide avec le retour de l’équipe Obama» remarque le géopoliticien, évoquant ainsi «une résonance tout à fait intéressante d’une Administration à l’autre avec la petite parenthèse de l’Administration Trump entre les deux». Si cet accord est révélateur d’une «victoire stratégique pour Pékin», il ne s’agit en rien d’une officialisation de «l’hégémon chinois dans la région», nuance Courmont.

«Il y a de fortes résistances à la Chine chez ses voisins, et un pays comme le Japon, la deuxième plus grande économie après la Chine qui entre dans cet accord, n’adhère évidemment en rien à un principe selon lequel la Chine serait cet hégémon asiatique. On est donc dans du pragmatisme, de l’économie, du commerce, mais on n’est certainement pas dans quelque chose qui donnerait un blanc-seing à la Chine à l’échelle continentale.»

Et le chercheur à l’IRIS de signaler la déconnexion grandissante entre les élites politico-économiques des pays de l’Asie du Sud-Est, qui font «preuve de pragmatisme et se rangent progressivement du côté de la Chine» et une opinion publique de plus en plus méfiante vis-à-vis du rapport des pays de la région avec la Chine.

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