El-Guerguerat: Les tambours de guerre résonnent à plein volume entre le Maroc et le Polisario

© AFP 2023 RYAD KRAMDIFront Polisario
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Après le blocage prolongé du passage frontalier entre le Maroc et la Mauritanie par des membres du Front Polisario, les Forces armées royales marocaines viennent de frapper fort. Elles ont vite libéré cette zone mais en battant en retraite, les indépendantistes sahraouis déclenchent une guerre médiatique et menacent de riposter. Éclairages.

Plus que des bruits de bottes, ce sont des tirs à l’arme lourde qui se sont fait entendre ce 13 novembre dans la zone frontalière entre le Maroc et la Mauritanie. Les autorités marocaines ont confirmé, à travers deux communiqués publiés coup sur coup au cours de la matinée de ce vendredi, qu’une opération militaire «non offensive et sans aucune intention belliqueuse» se déroulait dans la zone tampon d’El-Guerguerat.

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Signé par le ministère des Affaires étrangères, le premier communiqué a tracé le cadre de la «réaction» marocaine. Le second, de l’État-major général des Forces armées royales (FAR), plus direct, a révélé la réponse militaire opérée à travers le déploiement des FAR dans la nuit de jeudi 12 à vendredi 13 novembre à El-Guerguerat.

Cette action intervient dans un contexte de crise croissant entre les deux parties autour de cette zone tampon située à l’extrême sud du territoire désertique que se disputent depuis des décennies le Maroc et le Front Polisario, soutenu par l’Algérie.

Opération éclair

L’objectif annoncé par les Marocains est de «mettre un terme à la situation de blocage» de la circulation entre le Maroc et la Mauritanie, de «restaurer la libre circulation civile et commerciale» et de la sécuriser, indiquent les deux communiqués officiels.

Car l’axe traversant la zone tampon d’El-Guerguerat est bloqué depuis le 21 octobre dernier par des éléments du Polisario. D’ailleurs, environ 200 routiers marocains se plaignent d’être coincés depuis près de trois semaines dans ce poste-frontière, épicentre des tensions entre le Maroc et les indépendantistes sahraouis.

«Le Polisario et ses milices ont mené des actes de banditisme, bloqué la circulation des personnes et des biens sur cet axe routier et harcelé continuellement les observateurs militaires de la Minurso [la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental, ndlr]. Ces agissements documentés constituent de véritables actes prémédités de déstabilisation, qui altèrent le statut de la zone, violent les accords militaires et représentent une menace réelle à la pérennité du cessez-le-feu. Ils sapent les chances de toute relance du processus politique souhaitée par la communauté internationale», dénonce le ministère des Affaires étrangères marocain dans son communiqué.

«Le Maroc a donc décidé d’agir, dans le respect de ses attributions, en vertu de ses devoirs et en parfaite conformité avec la légalité internationale», poursuit la même source.

Des hommes du génie civil de l’armée marocaine ont ainsi été dépêchés sur place dans la nuit du jeudi 12 novembre pour «colmater les brèches» du mur de défense construit par le Maroc, qui sépare les deux camps. Le but est de «rendre impossible [au Polisario, ndlr] l’accès à la zone [tampon]», a expliqué un haut responsable marocain des Affaires étrangères à l’AFP, le 14 novembre. Les Forces armées royales avaient annoncé, plus tôt dans la journée, avoir mis en place un cordon pour sécuriser le flux des biens et des personnes.

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«Cette opération se déroule selon des règles d’engagement claires [l’accord militaire n°1 qui régit les mouvements militaires au Sahara], prescrivant d’éviter tout contact avec des personnes civiles et de ne recourir à l’usage des armes qu’en cas de légitime défense», avaient souligné les FAR dans leur court communiqué. Sont visées par cette intervention militaire inédite depuis l’accord de cessez-le-feu signé en septembre 1991 sous l’égide de l’Organisation des Nations unies (ONU) la «soixantaine de personnes encadrées par des miliciens armés du Polisario», précise le même communiqué.

Ancien conseiller politique auprès de l’ONU et spécialiste marocain de la politique étrangère du royaume, Samir Bennis décrypte au micro de Sputnik les enjeux de cette opération:

«L’opération marocaine met le royaume dans une position de force. L’intervention des forces armées marocaines pousse le Conseil de sécurité de l’ONU ainsi que son secrétariat général à assumer sa responsabilité. Il somme aussi le Polisario de respecter son engagement dans le processus politique en lui faisant comprendre d’une manière claire que ses provocations peuvent avoir des répercussions graves sur la stabilité de la région.»

Le Maroc avait prévenu

Pressentant la «riposte marocaine», le Front Polisario avait averti, via un communiqué le 9 novembre dernier, que «l’entrée de tout élément militaire, sécuritaire ou civil marocain» dans la zone tampon serait considérée comme «une agression flagrante, à laquelle la partie sahraouie répliquera énergiquement, en légitime défense et en défendant sa souveraineté nationale». Il a aussi menacé de mettre fin à l’accord de cessez-le-feu avec Rabat. C’est donc sans surprise qu’il a annoncé ce vendredi 13 novembre qu’il «répliquait à l’armée marocaine».

«La guerre a commencé», a même déclaré à l’AFP le ministre des Affaires étrangères du Front Polisario, Mohamed Salem Ould Salek.

«C’est une agression. Les troupes sahraouies se retrouvent en situation de légitime défense et répliquent aux factions marocaines», a-t-il ajouté. La région de Guerguerat a déjà été au centre de vives tensions, notamment début 2017, entre le Maroc et le Polisario. Ce dernier dénonce l’existence de cette route que Rabat considère comme essentielle pour ses échanges avec l’Afrique subsaharienne.

Les événements de ce vendredi 13, qui porte bien son nom, ont été au centre de la réunion tenue le jour même par le chef du gouvernement, Saâdeddine El Othmani, avec les secrétaires généraux et présidents des partis politiques, au sujet de l’intervention des Forces armées royales à El-Guerguerat.

El Otmani a affirmé, lors de cette réunion, que le Maroc est resté, sur ordre du souverain, en contact avec le secrétaire général de l'ONU et les membres du Conseil de sécurité en les informant de tous les développements. Plusieurs parties, dont les forces de la Minurso, le secrétaire général de l'ONU et nombre de membres du Conseil de sécurité ont tenté de résoudre la question par le dialogue, et le Maroc a fait preuve, 22 jours durant, de la plus grande retenue. Mais après avoir épuisé tous les moyens et le refus de l'autre partie d'interagir avec les appels internationaux, il était nécessaire que le Royaume intervienne, a-t-il ajouté.

Par ailleurs, le chef du gouvernement a fait savoir qu’il n'y avait eu aucune friction avec les milices séparatistes car elles se sont retirées dès que les Forces armées royales sont intervenues pour sécuriser la zone.

Pour rappel, le roi Mohammed VI avait déjà prévenu la communauté internationale dans son discours royal de la Marche verte prononcé le 7 novembre que le Maroc «ne se départira pas du bon sens et de la sagesse dont il a coutume. En revanche, c’est avec la dernière vigueur et la plus grande fermeté qu’il s’opposera aux abus cherchant à porter atteinte à la sécurité et à la stabilité de ses provinces du sud».

Médiateur onusien, où êtes-vous?

La veille de ce discours, la 4e Commission de l’Assemblée générale de l’ONU a adopté sans vote une résolution réitérant son soutien au processus politique mené sous les auspices des Nations unies pour le règlement de ce conflit régional qui oppose le Maroc au Polisario et à l’Algérie.

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Le voisin de l’est est désormais officiellement reconnu comme partie prenante à ce différend. Des négociations avaient été menées l’année dernière en Suisse sous l’égide de l’ONU, en présence de représentants du Polisario de l’Algérie et du Maroc ainsi que de la Mauritanie voisine, sans réaliser de véritables avancées. C’était du temps de l’ancien envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies Horst Köhler, qu’António Guterres peine encore à remplacer. Peut-être la tension extrême actuelle résulte-t-elle de l’absence d’un bon médiateur onusien…

«Le Maroc sait bien que le contexte politique et diplomatique est en sa faveur, il n’a donc aucun intérêt à entrer dans une guerre. Le royaume a fait tout son possible pour éviter une escalade militaire. Désormais, pour échapper à cela, au regard de Rabat, le Conseil de sécurité doit intervenir en apportant une résolution claire et nette sanctionnant les agissements du Polisario qui déstabilisent la région, c’est la seule issue», considère Samir Bennis.

«Sans l’intervention de l’ONU, l’immobilisme risque de sonner définitivement le glas du processus politique entamé», conclut-il.
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