«Nous allons continuer de frapper d’une main de fer tous ceux qui veulent nuire à notre sécurité et stabilité», déclarait le 12 novembre Mohamed ben Salmane (MBS), prince héritier d’Arabie saoudite, en s’adressant au Conseil de la Choura, l’organe consultatif officiel du royaume. «Nous continuerons à nous confronter à tout comportement et toute idée extrémiste», ajoutait-il.
Le fils du roi Salmane est monté au créneau après la deuxième attaque en deux semaines contre des cibles occidentales dans le royaume. Mais ces promesses de lutte acharnée contre le terrorisme sont-elles crédibles? Historiquement, l’Arabie saoudite et son idéologie wahhabite, de laquelle découle le salafisme, ont toujours été l’un des moteurs du terrorisme islamiste à l’échelle nationale, régionale et internationale.
Pressions américaines et russes
Pourtant, Roland Lombardi, historien, analyste, notamment des problématiques liées au Moyen-Orient, auteur de l’essai Poutine d’Arabie (Éd. VA, 2020), estime que ces promesses sont à prendre au sérieux.
«L’Arabie saoudite d’aujourd’hui n’est pas celle d’avant 2015», souligne -t-il au micro de Sputnik. À partir de l’avènement du roi Salmane en 2015 et la prise de pouvoir politique en 2017 de son fils, le prince héritier Mohamed ben Salmane, qui se présente en réformateur, «il y a eu un tournant dans la politique régionale et intérieure de l’Arabie saoudite. Le royaume a, à partir de ce moment, considérablement durci le ton et sa politique vis-à-vis de la sphère religieuse, pourtant très puissante auparavant», développe-t-il.
Mais ce changement n’est pas tombé du ciel, précise le consultant en géopolitique. C’est en partie sous l’impulsion de Washington que celui-ci a vu le jour:
«Une fois élu fin 2016, Donald Trump a mis une pression importante sur Riyad pour qu’il en finisse avec les jeux troubles du passé et les liaisons dangereuses entre le pouvoir politique et les mouvements djihadistes et salafistes.»
Donald Trump a entre autres menacé le royaume de ne plus lui fournir la protection militaire dont il dispose aujourd’hui. Or, du point de vue sécuritaire, l’Arabie saoudite est, aujourd’hui comme hier, totalement dépendante du parapluie militaire américain.
MBS a voulu mettre fin à la menace d’isolement
Même si l’armée saoudienne s’est considérablement développée grâce aux pétrodollars et qu’elle a pu acheter du matériel à la pointe de la technologie, elle est restée relativement faible comparée aux autres puissances militaires régionales. En atteste son intervention au Yémen en 2015, qui ne devait durer que quelques jours et qui n’est, aujourd’hui encore, toujours pas finie. Les dirigeants saoudiens ouvrent donc grand les oreilles quand les États-Unis menacent de retirer leur soutien.
«Le prince héritier MBS a commencé à faire le travail. En 2016, l’Arabie saoudite a mené une répression importante dans le pays, voire dans la région, des groupes salafistes dangereux», explique Roland Lombardi.
Le prince saoudien était d’autant plus disposé à obtempérer que le son de cloche qu’il a entendu à Moscou faisait écho à celui de Washington. Quand MBS se rend en Russie pour une visite historique en 2017,
«Vladimir Poutine tient un discours qui, sur le fond, se rapproche de celui de Donald Trump, à savoir que les deux pays pouvaient entretenir une relation fructueuse, en particulier au niveau économique, mais qu’il fallait que l’Arabie saoudite mette un terme à ses jeux troubles avec les mouvements extrémistes», souligne l’historien.
Isolé régionalement face à l’alliance entre la Turquie et le Qatar d’un côté, et l’Iran et ses alliés de l’autre, Riyad a agi en conséquence.
Malgré les purges, les wahhabites toujours actifs
MBS a fait des efforts, «il a quand même mis des oulémas [prêcheurs wahhabites souvent considérés comme radicaux, ndlr] derrière les barreaux. Notamment au moment de la purge qu’il a faite en 2017», lorsqu’il a enfermé au Ritz Carlton de Riyad des centaines de hauts responsables saoudiens. Parmi eux figuraient majoritairement des figures politiques, mais également religieuses.
Non #Khashoggi n’était pas un défenseur de la démocratie ou de la laïcité c’était un journaliste islamiste engagé proche de la monarchie et des frères musulmans et ami de Ben Laden. Vivant il fallait le combattre. Pour autant, le problème aujourd’hui ce sont ses tueurs pas lui ! https://t.co/ShC8HO24Xn
— Mohamed Sifaoui (@Sifaoui) October 23, 2018
Pour illustrer son propos, Roland Lombardi cite l’affaire controversée du journaliste saoudien Jamal Khashoggi. Au-delà des circonstances atroces de sa mort, si celui-ci a été tué, c’est parce qu’il était une voix d’opposition qui dérangeait le pouvoir, mais aussi parce qu’il était proche des Frères musulmans, notamment via sa conjointe. «Il a fait d’une pierre deux coups», estime Roland Lombardi.
Ce dernier juge donc que les efforts du nouvel homme fort de Riyad pour en finir avec les franges les plus radicales du pays ne sont pas que des paroles en l’air. Néanmoins, l’historien reste lucide sur le travail herculéen qu’il reste à faire dans le royaume:
«Étant donné que l’Arabie saoudite est la source du wahhabisme et donc du salafisme dans le monde arabe, il y aura toujours, malgré les purges, des forces qui continueront de faire du prosélytisme et à vouloir agir de manière brutale.»
Les attentats successifs visant des cibles occidentales qui ont eu lieu ces dernières semaines sont là pour rappeler que l’idéologie mortifère salafiste n’en est pas à son dernier coup de sabre en Arabie saoudite et bien au-delà.