Comment promouvoir la consommation des produits «made in Cameroun» et booster l’industrie locale? La question est au cœur de l’actualité du pays. Si de plus en plus de marques camerounaises tentent de se frayer une place sur les étals, elles ne font malheureusement pas encore le poids face à l’abondance de marchandises importées.
Le gouvernement envisage «la soumission de droit d’accises à un taux général de 25% pour les meubles et ouvrages en bois, les cure-dents, les fleurs naturelles et artificielles importés», rapporte une note du ministre des Finances rendue publique fin octobre.
Au premier trimestre 2020, le Cameroun a dépensé 190,6 milliards de francs CFA (338 millions de dollars) pour importer 1.089.801 tonnes de biens de ce type parmi lesquels les meubles en bois (2.161 tonnes), par exemple, ont coûté 1,4 milliard de francs CFA (2,5 millions de dollars).
Une mesure salutaire?
Parallèlement à l’augmentation des droits de douane sur ces produits, le ministère des Finances a également annoncé des mesures d’assouplissement fiscal en faveur du secteur forestier en 2021 pour encourager la production locale. Il s’agit notamment de «la réduction de 4% à 3% du taux de la taxe d’abattage au profit des entreprises forestières justifiant d’un certificat en matière de gestion durable des forêts; de la mensualisation du paiement de la redevance forestière annuelle (RFA) afin de ménager la trésorerie des entreprises», lit-on dans la même note.
Si ces dispositions sont globalement saluées par les acteurs du secteur, pour Dieudonné Essomba, économiste, elles sont insuffisantes. Ce qui compte dans cette industrie, considère-t-il, «ce sont les produits manufacturés à partir de bois local. On ne voit pas de manière spécifique ce qui a été adressé en faveur du secteur de la transformation du bois à l’intérieur même du Cameroun».
«Si vous ne faites que rendre difficile l’entrée d’un produit à travers des droits de douane élevés, vous ne résolvez pas le problème de la production locale. Il faut pouvoir remplacer la production initialement importée par la production locale. Il ne s’agit pas seulement de réduire les importations», commente-t-il au micro de Sputnik.
Le problème avec le made in Cameroun c’est la production de masse qui n’est pas au RDV!!!
— 👑IBRAHIM👑 (@KingIbrahim_2) August 17, 2020
Faut comprendre que personne n’investit pour perdre s’ils produisent moins il doivent vendre cher pour s’en sortir.
Du coup nous ne sommes plus la cible grand. https://t.co/1yV6lsnVeU
«Taxer les importations pour soutenir la production locale, en soi ce n’est déjà pas mal», estime également Max Pascal Owona, spécialiste en stratégie et management des organisations. Seulement, poursuit-il, «si l’alternative nationale existe de manière insuffisante (faible production ou difficultés logistiques entre bassin de production et marché), c’est le pouvoir d’achat du Camerounais qui est négativement impacté, obligé d’acquérir le même produit plus cher».
Les freins au décollage du «made in Cameroun»
Alors que le pays importe encore de grandes quantités de biens pouvant être produits sur place, la crise sanitaire mondiale, qui a mis un frein aux importations avec la fermeture des frontières, a démontré la nécessité d’encourager les initiatives nationales.
«Mais aussi la volonté politique: c’est-à-dire que l’on ne privilégie pas le "made in Cameroun" dans la commande publique», se désole-t-il.
Dans le pays, des entrepreneurs comme Thierry Nyamen, patron d’une société spécialisée dans la transformation de produits locaux et la production de céréales infantiles, font depuis longtemps déjà ce constat affligeant. Dans une interview accordée à Sputnik en 2019, il soulignait déjà le paradoxe d’un ministère qui faisait la promotion du bois local mais commandait des meubles venus d’ailleurs.
Patriotisme économique
Si le débat autour de la promotion des produits locaux n’est pas nouveau, Jean-Pierre Mbanga, chef d’entreprise camerounais et vice-président de l’Association des entrepreneurs ingénieux d’Afrique (Asenia), pense que l’État doit montrer l’exemple à suivre.
«Il serait plus qu’important aujourd’hui que l’État soit le premier consommateur des produits "made in Cameroun" dans tous les domaines de production et de transformation», défend-il au micro de Sputnik.
De nombreuses initiatives ont vu le jour pour booster le label national. D’ailleurs en juin dernier, au plus fort de la pandémie, des députés membres du réseau «Espérance jeunesse» ont organisé à Yaoundé la première édition de la journée du patriotisme économique.
Impulser l’initiative locale revient, selon Jean-Pierre Mbanga, à «avoir une fiscalité un peu plus souple qui encouragerait bon nombre d’acteurs et d’investisseurs à développer des projets».
«Faire la publicité des champions locaux serait aussi motivant pour les acteurs actuels et à venir du "made in Cameroun"», suggère l’entrepreneur.
Si le sursaut d’orgueil patriotique est monté d’un cran dans le milieu entrepreneurial camerounais, cet engouement, estime Dieudonné Essomba, ne suffit pas pour changer la donne. L’économiste souligne la nécessité de mettre sur pied «des mécanismes pour orienter la demande vers la production nationale».
«C’est en fait un travail global, qui implique de développer la production locale en quantité et en qualité, et d’améliorer les conditions d’accès à ces produits pour les consommateurs camerounais», martèle-t-il.
Sous prétexte qu'on doit promouvoir le made in Cameroun on doit accepter la Médiocrité ?
— Caleb Nabour OME🇲🇱🇨🇲 (@ronaldoangel10) September 24, 2020
En attendant l’embellie, cette campagne des entrepreneurs locaux pour le patriotisme économique rejoint le combat des mouvements patronaux dans le pays. Ces derniers n’ont de cesse de suggérer au gouvernement la mise en place d’une stratégie de promotion des «champions nationaux» afin de rendre des entreprises camerounaises compétitives dans une économie de plus en plus internationalisée.