Le Président du Kosovo, Hashim Thaçi a annoncé ce jeudi 5 novembre sa démission suite à son inculpation pour crimes de guerre par le tribunal spécial pour le Kosovo (KSC), siégeant à La Haye.
Les crimes qui lui sont reprochés auraient été commis lorsqu’il était à la tête de l’«Armée de libération du Kosovo» ou UÇK (pour Ushtria Çlirimtare e Kosovës). L’ex-chef de guerre devenu chef d’État est soupçonné d’être impliqué dans un trafic d’organes, prélevés sur des prisonniers serbes et roms déportés en Albanie, où ils étaient alors exécutés suivant la demande.
Toujours ce 5 novembre, Kadri Veseli, ex-patron du renseignement de la guérilla kosovare, a également confirmé son inculpation par La Haye. La veille, c’était Jakup Krasniqi, l’ancien porte-parole du mouvement, qui était arrêté et la mise en accusation d’un autre dirigeant devenu député, Rexhepi Selimi, était confirmée.
«C’est une nouvelle attendue depuis plus de 20 ans par les nombreuses personnes ayant souffert des exactions de l’UÇK et qui réclament encore justice», réagit auprès de Sputnik Nikola Mirkovic, qui dirige l’ONG Ouest-Est, présente au Kosovo.
Auteur de l’ouvrage Le martyre du Kosovo (Éd. Jean Picollec, 2013), il rappelle que l’UÇK était reconnue comme organisation terroriste «même par les Américains» jusqu’en 1997, avant d’être réhabilitée par Washington à la veille du conflit. Nikola Mirkovic s’interroge sur la portée qu’auront ces arrestations. En effet, ce n’est pas la première fois que de hauts responsables de l’UÇK comparaissent devant la justice internationale pour crimes de guerre. «Est-ce que les chefs vont tomber? Thaçi, Krasniqi, Haradinaj…», s’interroge-t-il.
Après le Premier ministre, le Président inculpé de crimes contre l’humanité
En juillet 2019, Ramuj Haradinaj (alias «Rambo» pour ses partisans), compagnon d’armes de Hashim Thaçi, avait renoncé pour la deuxième fois à son poste de Premier ministre du Kosovo suite à une deuxième inculpation pour crimes de guerre par La Haye. La première fois, c’était en 2005, lorsque le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) l’avait accusé de pas moins de 37 chefs d’inculpation (17 pour crimes contre l’humanité et 20 pour violation des lois ou coutumes de la guerre) tels que persécutions, détention illégale, traitements cruels, assassinats, viols et «autres actes inhumains» dont nous vous dressions à l’époque l’inventaire.
Les dizaines de témoins à charge refusèrent finalement de témoigner à l’audience après que plusieurs d’entre eux furent retrouvés morts ou portés disparus. L’acquittement de Ramuj Haradinaj acta l’échec du TPIY à faire condamner des responsables albanais du conflit.
Thaçi, Haradinaj, de mafieux à chefs d’État
En 2010, un nouveau procès devait s’ouvrir, mais un témoin clef –pourtant sous la protection de la mission «État de droit» de l’Union européenne au Kosovo, EULEX (European Union Rule of Law Mission in Kosovo)– fut retrouvé pendu dans un parc en Allemagne. Le KSC, conscient de l’épineuse question de la protection des témoins, espère réussir là où ses prédécesseurs ont échoué. Autre problème pour Nikola Mirkovic:
«Ces chefs ont énormément de secrets à dévoiler de leur côté, ils savent quels étaient les rôles des États occidentaux qui les ont aidés.»
Pour autant, l’humanitaire et essayiste rappelle les différents rapports qui sont venus documenter les exactions commises sur fond d’activités mafieuses par les hommes de l’UÇK et même directement par ces hauts responsables politiques du Kosovo lorsqu’ils étaient aux commandes de cette guérilla s’articulant autour de clans familiaux. Durant le conflit, une vingtaine de groupes criminels se partageaient le Kosovo suivant trois zones d’influence: le centre, tenu par Hashim Thaçi, l’ouest, tenu par Ramush Haradinaj, et le nord-est, contrôlé par Rrustem Mustafa (depuis condamné par la justice kosovare pour crime de guerre), tous anciens commandants de l’UÇK. «Si tous les sponsors du Kosovo veulent être crédibles, il y aura forcément des condamnations», estime l’essayiste.
«Comment voulez-vous arriver sur place et avoir un discours de paix, de rapprochement des peuples, quand les criminels d’hier, non seulement n’ont pas été jugés, mais sont au sommet du nouvel État du Kosovo?», assène Nicola Mirkovic.
Au-delà des exactions commises durant le conflit, tant à l’encontre de Serbes, de Roms que d’Albanais qui ne partageaient pas les méthodes des clans constituant l’UÇK, l’essayiste rappelle la gestion calamiteuse de l’ex-province serbe, depuis qu’elle été mise en «coupe réglée» par ces ex-chefs guerre reconvertis dans la politique.
Nicola Mirkovic fait notamment référence à un article du Figaro, de mai 2017, qui soulignait «la faillite du modèle kosovar», alors que dix-sept ans après la guerre «le montant de l’aide internationale –4,5 milliards de dollars– dépasse par tête d’habitant le plan Marshall.»
«Le Kosovo, 20 ans plus tard, avec toute cette aide, est l’une des régions les plus pauvres d’Europe. Ce que le Kosovo exporte le mieux aujourd’hui, ce sont des Kosovars», regrette-t-il.
Reste une dernière problématique, et de taille en ces temps de fin de campagne électorale aux États-Unis: le rôle que joueront ces derniers dans le procès. En effet, jusqu’à présent, Washington a refusé que l’on touche à ses alliés albanais du Kosovo. Il faut dire que le pays abrite la seconde plus grosse base de l’Otan sur le continent européen: le camp Bondsteel.
Les Albanais du Kosovo, aux Américains reconnaissants…
Notons pour l’anecdote que la route qui mène à ce camp, où Ramuj Haradinaj fut conduit après avoir été blessé dans une vendetta, a été rebaptisée à l’été 2016 «Beau Biden» en hommage à la contribution apportée à l’indépendance du Kosovo par le défunt fils de Joe Biden. En effet, avant de devenir procureur du Delaware jusqu’à sa mort en 2015, celui-ci s’était porté volontaire au début des années 2000 pour former les juges du Kosovo, lequel finira par proclamer son indépendance de la Serbie en 2008.
«C’était sa conviction profonde, après être venu ici en des temps très difficiles, qui m’a convaincu que défendre l’indépendance de ce beau pays était ce qu’il fallait faire», déclarait le 17 août 2016 le Vice-Président de Barack Obama, ému, lors d’une conférence de presse conjointe avec Hashim Thaçi qui venait de rebaptiser du nom de son fils ainé cette portion de la route menant à Bondsteel.
«Je pense que Biden sera certainement un plus mauvais choix pour la paix dans les Balkans», estime Mirkovic, rappelant les propos de Biden durant la guerre de Yougoslavie à l’égard de la Serbie, les comparant avec l’approche de Donald Trump, plus économique, du Kosovo.
Notons toutefois que ce fut durant cette visite de Joe Biden que les États-Unis reconnurent pour la première fois un blocage de la partie kosovare dans le processus de normalisation des relations entre Pristina et Belgrade. Un processus acté deux ans plus tôt à Bruxelles et bloqué par les autorités kosovares «avec la plus parfaite mauvaise foi», notait à l’époque la presse française. Comme le rappelait Biden durant cette fameuse visite en 2016, Pristina et Belgrade doivent régler leur différend en vue d’une intégration à l’Union européenne. Le départ de Hashim Thaçi permettra-t-il cette normalisation?