Haut-Karabakh: «l’Azerbaïdjan ne renoncera jamais à récupérer ses terres, c’est une question existentielle»

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Stepanakert, capitale de la république autoproclamée du Haut-Karabakh, après une frappe d'artillerie - Sputnik Afrique
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Au cours d’un entretien fleuve, Mirvari Fataliyeva, Présidente de la Maison d'Azerbaïdjan à Paris et Secrétaire Générale de l'Association des Amis de l'Azerbaïdjan, revient au micro de Sputnik sur les enjeux du conflit dans le Haut-Karabakh et ce qui, selon elle, peut ramener la paix dans cette région en guerre depuis plus de 20 ans.

Dans la République autoproclamée du Haut Karabakh, peuplée d’Arméniens mais qui n’est reconnue par aucun membre des Nations unies, pas même l’Arménie, l’Azerbaïdjan continue d’essayer de rétablir un contrôle territorial total.

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Dans un entretien accordé à Sputnik le 15 octobre, le Président azerbaïdjanais, Ilham Aliev, dit être confiant de pouvoir mener à bien sa mission: «Nous avons expulsé les occupants des hauteurs stratégiques de la chaîne de montagnes de Mourovdag et nous poursuivons notre opération réussie de restauration de l'intégrité territoriale de notre pays.» Une position qui n’est, somme toute, pas surprenante, compte tenu de l’avantage militaire dont dispose l’Azerbaïdjan, mais qui semble tout de même avoir du mal à se matérialiser concrètement pour l’instant.

Combats, cessez-le-feu, reconnaissance du Haut-Karabakh, soutiens internationaux, mercenaires… Sputnik revient sur tous ces dossiers brûlants avec Mirvari Fataliyeva, Présidente de la Maison d'Azerbaïdjan à Paris et Secrétaire Générale de l'Association des Amis de l'Azerbaïdjan, qui porte une voix azerbaïdjanaise qui n’est que trop rarement entendue en France. 

Sputnik France: Quelle analyse faites-vous du conflit dans le Haut-Karabakh? Comment est-il perçu du côté azerbaïdjanais?

Mirvari Fataliyeva: «Ce conflit est le fruit de près de trente ans de négligence, d’inertie, d’oubli. La communauté internationale, et en particulier le Groupe de Minsk, n’ont pas fait le nécessaire pour faire appliquer le droit international et obtenir une résolution négociée du conflit.

L’Azerbaïdjan n’a plus d’autre choix que de se défendre et de faire respecter sa souveraineté par les armes. C’est un choix par défaut, contraint et forcé. Je rappelle que les hostilités ont été lancées par le camp adverse.

 Depuis trente ans, le peuple azerbaïdjanais souffre. Il y a eu près d’un million d’Azerbaïdjanais chassés du Haut-Karabakh et des sept régions avoisinantes occupées illégalement par l’Arménie. Ceux-ci n’attendent qu’une chose, c’est retourner sur leur terre natale. Sur le plan émotionnel, c’est très dur pour moi et ma famille. Nous avons été traumatisés par l’invasion arménienne dans les années 1990, et la blessure reste très vive dans nos cœurs. L’armée arménienne nous a violemment chassés de nos villages qu’elle occupe toujours. J’ai toujours en mémoire le massacre de Khodjaly [village dans le Haut-Karabakh, ndlr], où l’armée arménienne a massacré 613 civils en une nuit. J’espère simplement que ce conflit prendra bientôt fin et que je pourrai bientôt revoir la terre où sont enterrés mes ancêtres.»

Sputnik France: On ne voit aujourd’hui pas d’issue pacifique au conflit. Comment peut-il, selon vous, se régler?  

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Mirvari Fataliyeva: «Cela passera par un respect strict du droit international. Nous ne voulons rien d’autre. Par quatre fois, le conseil de sécurité de l’Onu a exigé le retrait immédiat, total et inconditionnel des troupes arméniennes en Azerbaïdjan. L’Arménie doit donc se retirer du territoire azerbaïdjanais qu’elle occupe militairement et illégalement. Ce n’est qu’à cette condition qu’un processus politique pourra s’engager pour organiser de nouveau le vivre-ensemble entre Arméniens et Azerbaïdjanais dans le Haut-Karabakh. Les Azéris vivaient, et veulent toujours vivre en paix avec leur voisin arménien mais à la condition que la sécurité du territoire soit respectée.»

Sputnik France: Comment expliquez-vous que la voix arménienne gagne la bataille médiatique en Occident?

Mirvari Fataliyeva: «Cela s’explique par le fait qu’il y a de plus grosses communautés arméniennes dans les pays occidentaux. C’est particulièrement vrai en France, mais aussi aux États-Unis. Les médias les plus importants dans ces pays servent de relais et influencent à leur tour la population.»

Sputnik France: Justement, vous êtes en France, quel est votre ressenti par rapport à la position de la France sur ce conflit?

Mirvari Fataliyeva: «La France, hélas, est souvent l’otage du communautarisme arménien. Bien qu’elle ait voté les résolutions de l’Onu exigeant le retrait arménien d’Azerbaïdjan, elle n’a concrètement rien fait pour que ces résolutions soient appliquées.

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 Ça serait vraiment dommage d’importer la crise du Haut-Karabakh en France en prenant parti dans ce conflit. Je souhaite que la France agisse en médiatrice pour établir la paix en assumant ses responsabilités historiques. En sa qualité de co-présidente du Groupe de Minsk, elle est un des trois pays médiateurs dans ce conflit. Elle doit donc intervenir pour ramener à la raison les Arméniens et azerbaïdjanais afin d’amener à une paix juste, dans le respect du droit international et des Nations unies.

La récente déclaration du ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian et l’échange entre Emmanuel Macron et Ilham Aliev montre bien que la France défend toujours son statut de médiateur et qu’elle reste, pour moi, neutre.»

Sputnik France: En effet, la France ne répond pas pour l'instant par l'affirmative à la demande de l'Arménie de reconnaître l'indépendance du Haut Karabakh et garde sa neutralité, pensez-vous qu'une démarche dans le sens de la reconnaissance de la République autoproclamée puisse aggraver les choses? 

Mirvari Fataliyeva: «Clairement. L’Azerbaïdjan ne renoncera jamais à récupérer ses terres, c’est une question existentielle pour nous. Les provinces occupées par les Arméniens sont à l’Azerbaïdjan ce que l’Alsace et la Lorraine sont à la France.

Si la France disait soutenir le séparatisme arménien, que dirait-elle demain à l’Espagne, à l’Ukraine, à la Géorgie et tant d’autres pays confrontés à des séparatismes armés. Elle se discréditerait totalement sur la scène internationale.»

Sputnik France: Comment réagissez-vous à l’annonce de Mike Pompeo, secrétaire d’État américain, qui dit espérer que l’Arménie «puisse se défendre»?

Mirvari Fataliyeva: «Je crois que le contexte électoral explique cette sortie. Pour moi, c’est clairement un clin d’œil aux millions d’Arméniens vivant Outre-Atlantique. Démocrates comme Républicains essayent de capter les voix arméniennes dont la communauté est influente aux États-Unis.»

Sputnik France: Erdogan parle d’une nation et de deux États quand il parle de la Turquie et de l’Azerbaïdjan, vous identifiez-vous à ce message?

Mirvari Fataliyeva: «Je suis d’origine azerbaïdjanaise et je ressens naturellement des affinités culturelles et linguistiques avec les Turcs. Ils nous soutiennent aujourd’hui comme hier sur le plan diplomatique et politique. Ces liens sont historiques, ils n’ont pas forcément de rapport avec le Président Recep Tayyip Erdogan. Mais la Turquie n’est pas le seul soutien de l’Azerbaïdjan aujourd’hui: il y a également Israël, le Pakistan, la Géorgie, l’Ukraine [qui] par exemple nous soutiennent aussi.»

Sputnik France: Que pensez-vous de la participation des mercenaires étrangers au conflit?

Mirvari Fataliyeva: «Des informations de plus en plus nombreuses font état de combattants arméniens recrutés en France et au Liban, acheminés par avion au Haut-Karabakh.

La présence de mercenaires russes du groupe Wagner est aussi signalée côté arménien [pas d'informations officielles, ndlr]. Enfin, on entend dire que des unités du PKK kurde, une organisation considérée comme terroriste par l’Union européenne, aurait été déployées sur zone. C’est, pour le moins, inquiétant.

Pour le reste, j’ai entendu les allégations du Président Macron sur la présence de mercenaires djihadistes côté azerbaïdjanais. C’est une absurdité absolue pour moi. Non seulement aucune preuve n’a été apportée à ce jour, mais il faut surtout se rappeler que jamais des djihadistes n’iraient combattre pour des chiites. Ça n’a pas de sens. Et à ce jour, Bakou a toujours démenti la présence de ces mercenaires.» 

Sputnik France: Comment analysez-vous la position russe?

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Mirvari Fataliyeva: «La Russie est une puissance régionale qui a le pouvoir de régler ce conflit, et tout le monde le sait, mais les deux partis s’en méfient également. J’aimerais que la Russie fasse preuve de sa neutralité dans ce conflit mais malheureusement je n’en suis pas si convaincue que ça. En tant que victime de la purification ethnique menée par l’armée arménienne dans les provinces azerbaïdjanaises occupées, je n’oublie pas que les Russes ont militairement aidé les Arméniens à l’époque.»  

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