Sénégal: le Grand Magal de Touba, fer de (re)lance du virus ou de l’économie nationale?

© AFP 2024 SEYLLOUPélerins devant la mosquée de Touba, le jour du Grand Magal en 2018
Pélerins devant la mosquée de Touba, le jour du Grand Magal en 2018 - Sputnik Afrique
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Le rassemblement religieux majeur dont on craignait qu’il ne décuplât la propagation du coronavirus au Sénégal il y a quelques mois serait-il devenu un levier de relance de l’économie nationale? Le Grand Magal de Touba, célébré ce 6 octobre, semble s’être transformé en une lame à double tranchant.

Le Sénégal sortira-t-il indemne de son plus grand rassemblement religieux, organisé ce 6 octobre à Touba, la capitale du Mouridisme, une des plus grandes confréries musulmanes du pays? Alors que la quasi-totalité des barrières de lutte contre le coronavirus ont été levées par le gouvernement, espoir et crainte s’entrechoquent quant aux conséquences sanitaires que pourrait engendrer la promiscuité sur un territoire d’environ 120 km² de superficie ouverte à plusieurs centaines de milliers de personnes en provenance du monde entier.

Les débats à l’intérieur de la puissante confrérie sur l’opportunité de surseoir à l’événement ont fait long feu: le courant orthodoxe et conservateur l’a emporté. Pour quelques jours, l’ancienne bourgade rurale devenue la deuxième métropole sénégalaise est le cœur économique, social et religieux du pays tout entier.

C’est en 1895 que Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur du mouridisme et résistant pacifique au colonialisme français, est exilé de force au Gabon par ses geôliers venus de l’Hexagone. Disparu en 1927, le khalifat (la chefferie spirituelle) est assuré actuellement par ses petits-fils par ordre d’ancienneté. C’est en souvenir du départ en exil, cet événement historique, que la communauté mouride –dont les disciples sont présents aux quatre coins du monde– célèbre chaque année le Magal de Touba.

Deuxième ville sénégalaise la plus touchée par le coronavirus après Dakar, Touba suscite aujourd’hui l’inquiétude en raison de la forte concentration humaine dont elle fait l’objet pendant plusieurs jours.

«Le khalife n’a jamais eu d’autre idée que de laisser le Magal se dérouler comme il l’a trouvé […] Il ne peut d’ailleurs y avoir une autre façon de célébrer le Magal que celle qui a toujours été», a précisé aux médias sénégalais Serigne Bass Abdou Khadre, porte-parole de la confrérie et dont le père fut à une époque khalife général.

De concert avec les pouvoirs publics, les autorités religieuses ont pris le taureau par les cornes en édictant des mesures sanitaires et organisationnelles drastiques visant à circonscrire au maximum le potentiel de déflagration du virus. Entre distribution massive de masques et leur port obligatoire dans certains édifices publics et privés, pose de points gel hydroalcoolique en plusieurs endroits de la ville, transformation des colloques en rencontres virtuelles, ce sont nombre d’éléments classiques de l’organisation du Magal qui ont été ainsi revus à la baisse ou purement supprimés.

Deux des points d’orgue qui donnaient au Magal de Touba une dimension politique locale et internationale ont été bouleversés dans cette édition 2020. D’une part, la cérémonie officielle au cours de laquelle le khalife général de la confrérie livre son sermon se fera sans représentant de l’État; d’autre part, les invitations aux représentants du corps diplomatique accrédité à Dakar ont été supprimées.

Des pèlerins rassemblés devant la Grande mosquée de Touba (Sénégal) à l'occasion du Magal en 2018. - Sputnik Afrique
Coronavirus: les deux rassemblements religieux qui font paniquer le Sénégal
Cependant, en dépit des annonces fortes des autorités religieuses et politiques locales en charge de l’organisation, il sera difficile d’assurer le respect global des mesures barrières.

«Aux abords immédiats de la mosquée, principal lieu de concentration humaine, la distanciation physique n’existe pas. La promiscuité entre pèlerins est totale, les gens sont quasiment épaule contre épaule dans une ambiance où certains ont délaissé le masque qui était obligatoire. C’est un véritable embouteillage humain alors que l’on n’est qu’à la veille de l’événement proprement dit», s’inquiète auprès de Sputnik Cheikh Thiam, envoyé spécial du quotidien sénégalais Enquête.   

Depuis l’installation de l’épidémie au Sénégal, Touba, ville située à 190 km de la capitale, a toujours été un bastion fort de la circulation du virus. En août dernier, plusieurs personnalités, dont le professeur Mary Teuw Niane, ancien ministre de l’Enseignement supérieur et de l’innovation numérique, avaient ainsi appelé à réfléchir sur un redimensionnement de l’événement pour éviter le pire. Elles n’avaient pas été entendues.

Le gouvernement sénégalais avait-il la volonté de convaincre l’autorité de Touba afin que l’événement soit revu à la baisse dans ses dimensions? Peut-être pas. À cette période, il semblait plutôt préoccupé par le redémarrage de l’activité économique après plusieurs mois de paralysie totale. Or, le Magal est un formidable levier économique. D’après une étude réalisée en 2017 par l’université Alioune Diop de Bambey (au centre du pays), «l’impact global du Grand Magal de Touba s’élève à plus de 249,882 milliards de francs CFA (plus de 450 millions de dollars) répartis sous forme de dépenses dans l’économie nationale».

Lors du Conseil présidentiel tenu le 29 septembre dernier en présence de plus de 300 participants de tous les secteurs d’activité économique, le Président Macky Sall avait déjà donné le ton des orientations du gouvernement pour la période postpandémie. Le phénomène Covid semble relever du passé.

«Aujourd’hui, forts de nos acquis, mais également de nos limites et de nos vulnérabilités, il s’agit pour nous d’amorcer une nouvelle séquence dans la gestion de la crise du Covid-19 en passant de la résilience à la relance…», a déclaré le chef de l’État sénégalais.

Le jour du Grand Magal de Touba, célébré par la communauté mouride depuis 1928, est devenu jour férié et payé au Sénégal par un décret de l’ancien Président de la République Abdoulaye Wade. Une décision qui a été entérinée par une loi votée en 2013 sous Macky Sall.

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