Maintenir Barkhane, «c’est faciliter les recrutements pour les djihadistes»–candidat à la présidentielle au Niger

© Photo ECPADArmée française au Sahel/opération Barkhane
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Le docteur Adal Ag Rhoubeid, fondateur du Mouvement démocratique pour le renouveau, se présentera à l’élection présidentielle du 27 décembre au Niger. Pour ce Touareg natif de la région d’Agadez, il est temps de faire monter en puissance les armées du Sahel dans la lutte contre les djihadistes qui terrorisent la région. Entretien.

Formé au Niger et aux États-Unis, le docteur Adal Ag Rhoubeid a préféré rentrer au Niger pour «servir mon peuple et partager le destin de ma terre natale», confie-t-il au micro de Sputnik. Pour ce Touareg, fils des grandes tribus nomades du Sahara «dont l'influence déborde largement sur les pays limitrophes comme la Libye, l’Algérie, le Mali et le Burkina Faso», avant même la politique, son engagement s’est d’abord fait pour des raisons humanitaires, notamment pour faciliter l’accès aux soins et l’accès aux médicaments. Candidat à l’élection présidentielle du Niger sous les couleurs du parti qu’il a fondé en juillet 2015, Tarna (Mouvement démocratique pour le renouveau en tamasheq), il est aujourd’hui déterminé à l’emporter lors du scrutin présidentiel du 27 décembre prochain «grâce à un ambitieux programme de lutte contre la corruption, de promotion de l’éducation et de lutte contre la pauvreté et le terrorisme», affirme-t-il.

Pour lui, si la lutte contre le terrorisme dans le Sahel est nécessaire, elle doit être mieux coordonnée. «Le terrorisme est transnational» et ne saurait, en conséquence, être uniquement militaire. «C’est un truisme de dire que le terrorisme prospère sur une multitude de facteurs: c’est la pauvreté, l’injustice et l’impunité institutionnalisée des élites qui font son lit.»

© Photo adalrhoubeidLe docteur Adal Ag Rhoubeid est ministre, conseiller spécial du President de la République du Niger. En novembre 2019, le Tarna l’a investi à l’unanimité pour être son candidat à l’élection présidentielle de décembre 2020.
Maintenir Barkhane, «c’est faciliter les recrutements pour les djihadistes»–candidat à la présidentielle au Niger - Sputnik Afrique
Le docteur Adal Ag Rhoubeid est ministre, conseiller spécial du President de la République du Niger. En novembre 2019, le Tarna l’a investi à l’unanimité pour être son candidat à l’élection présidentielle de décembre 2020.

Sputnik France: Que pensez-vous de la transition actuelle au Mali par rapport à la crise sécuritaire au nord du pays?

Adal Ag Rhoubeid: «La transition qui s’est mise en place au Mali après le coup d’État militaire du 18 août semble malheureusement prise en otage. Tout observateur attentif aura remarqué la réticence du Mouvement du 5 Juin–Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) et, donc, de lʼimam Mahmoud Dicko, quant à la trajectoire que semble prendre cette transition. Lorsque le Comité national pour le salut du peuple (CNSP) a annulé sa visite à Kidal il y a trois semaines, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) a compris que les membres de la junte, à leur tour, cédaient aux pressions habituelles d’une certaine opinion à Bamako. C’est un élément révélateur des limites de la transition malienne vis-à-vis des Accords d’Alger. Je ne vois pas, à ce stade, qui pourrait appliquer ces accords. Et c’est très dommage pour la sous-région car ce qui est en train de se dérouler au Mali est crucial, aussi, pour ses voisins. Je vous rappelle que les Accords d’Alger, signés en 2015, prévoient, en plus de l’intégration des combattants, une refondation de l’État malien ainsi qu’une nouvelle répartition des responsabilités aux collectivités.»

Sputnik France: Comment expliquez-vous que le Niger ait réussi à régler sa «question» touarègue et pas le Mali?

Adal Ag Rhoubeid: «S’il est vrai que la rébellion touarègue s’est produite presque au même moment (début des années 1990) avec  des accords de paix signés, la différence c’est que les Touaregs du Niger, eux, sont installés dans toutes les régions. Par exemple, il y a des groupements nomades à Nguinguimi, à l’extrême est du Niger, près du lac Tchad à la frontière avec le Tchad ainsi qu’à Tera, à la frontière avec le Burkina Faso. Par ailleurs les accords entre le gouvernement nigérien et les mouvements de résistance touaregs ont bénéficié d’une réelle volonté, des deux côtés, de parvenir à une véritable paix.

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Enfin, le fait que certains ex-chefs rebelles au Mali comme Iyad Ag Ghali aient basculé dans le djihadisme peut aussi expliquer ces évolutions différentes.»

Sputnik France: Y a-t-il aujourd’hui une division raciale au Mali entre un «nord touareg» et le «sud»?

Adal Ag Rhoubeid: «La démarcation entre le sud et le nord du Mali ne saurait être réduite à la couleur de la  peau. Le nord du Mali n’a pas bénéficié des investissements de l’État depuis les indépendances. Si vous ajoutez à cela le poids de l’histoire précoloniale (la résistance face à la pénétration française) et postcoloniale (les agissements de l’armée malienne dans lʼAdragh), tous les ingrédients du conflit étaient réunis. La propagande officielle de l’époque à Bamako a parachevé le travail en favorisant un raccourci «Touaregs = Rebelles» qui est non seulement inexact, mais dangereux.»

Sputnik France: Vous-même aviez été accusé lors des attentats du 15 Janvier 2016 à Ouagadougou «parce que vous étiez sur les lieux du drame». Pourquoi?

Adal Ag Rhoubeid: «J’effectuais une visite pré-électorale à Ouagadougou, ce 15 janvier 2016, lorsque mon hôtel a été attaqué par des terroristes. Après l’intervention des forces spéciales françaises, les autorités burkinabé nous ont arrêtés du seul fait de notre appartenance ethnique. Ce jour-là, tous les Touaregs présents ont été interpellés et mis en prison, moi y compris... Nous avons fini par être relaxés puisque nous n’avions rien à voir avec l’attentat. L’ironie de l’histoire, c’est que les terroristes ressemblaient à des Mossis, pas à des Touaregs. Comme quoi le terrorisme n’a pas de couleur ni de nationalité! En attendant, tous mes véhicules de campagne ont été brûlés.»

Sputnik France: Daech* a revendiqué l’attaque terroriste, le 9 août dernier dans un parc classé du Niger, qui a coûté la vie à six Français de l’ONG Acted et à leurs deux guides nigériens.

Adal Ag Rhoubeid: «Cette attaque a effectivement été revendiquée par l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS)*. Ce groupe s’oppose à son principal rival dans le Sahel, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM)*.

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Depuis des mois, ces deux organisations terroristes sont en conflit ouvert. Elles se battent pour imposer leur influence territoriale, pas pour des raisons idéologiques. Ce qui veut dire que leur ennemi commun reste l’Occident et, par extension, les États du Sahel considérés comme inféodés à cet Occident. Cela dit, le modus operandi habituel des terroristes n’est pas de tuer leurs otages, mais de les rançonner. La tuerie qui s’est produite dans le parc nigérien relève d’un comportement irrationnel qui signe la façon d’agir de l’EIGS.»

Sputnik France: Les troupes françaises engagées au sein de l’opération Barkhane pour lutter contre l’influence de l’EIGS mais aussi et surtout du GSIM doivent-elles rester?

Adal Ag Rhoubeid: «La présence de Barkhane a apporté des résultats ponctuels indéniables en permettant notamment de neutraliser certains chefs djihadistes. Mais le maintien de cette présence, a contrario, justifie idéologiquement la pertinence du combat des djihadistes en leur permettant de recruter dans les rangs d’une jeunesse désœuvrée. Je dois dire que, vu de Niamey, nous avons du mal à comprendre nos frères maliens. Sans la France, il n’y aurait plus d’État malien. Du coup, afficher ouvertement des pancartes dans les rues de Bamako demandant un soutien à Poutine, c’est assez étrange!»

Sputnik France: Ne serait-ce pas plutôt au G5 Sahel de régler ce problème et que faudrait-il faire, dans ce cas, pour qu’il en ait les moyens ?

Adal Ag Rhoubeid: «Un transfert de la mission de Barkhane au G5 Sahel me paraît effectivement urgent. Il faut qu’il y ait une plus grande implication des armées locales dans la lutte contre le terrorisme dans notre région. Pour le moment, hélas, le G5 ne semble pas être très opérationnel du fait que les moyens promis n’ont pas suivi. Il y a aussi un problème de coordination entre les armées de ses cinq États membres. Il faudrait aussi que ces armées locales voient leur action mieux contrôlée pour éviter de commettre des bavures. Car celles-ci sont un argument exploité par les groupes terroristes pour recruter dans les communautés.»

Sputnik France: Aujourd’hui, vous être ministre conseiller du Président Mahamadou Issoufou. Or, vous êtes candidat à l’élection présidentielle du 27 décembre. Pourquoi?

Adal Ag Rhoubeid: «En 2016, le scrutin présidentiel a été entaché de fraude. Jamais le bourrage des urnes n’avait atteint un tel degré dans l’histoire contemporaine du Niger. Malgré cela, et dans le but d’apaiser les tensions, mon parti Tarna a fait le choix de la modération, tout en continuant à combattre (démocratiquement) le régime.

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Je me représente en 2020 parce que la gestion du pouvoir par le PNDS a été catastrophique. Ce que nous décriions en 2016 (la mal-gouvernance, la corruption, les multiples violations de la Constitution, l’insécurité) a pris, aujourd’hui, des proportions vertigineuses. Les scandales au niveau du ministère de la Défense sont là pour le rappeler. Toutefois, lorsque l’an dernier, le Président Issoufou m’a demandé de l’aider à stabiliser les régions frontalières du nord avec le Mali, l’Algérie et la Libye dont je suis issu, j’ai accepté pour le bien du pays, tout comme le fait que le principal opposant, Issoufou Mahamadou, ait accepté de conseiller le Président Tandja Mamadou sur les questions minières...»

Sputnik France: Le dauphin désigné du pouvoir, c’est Mohamed Bazoum. En face de lui, il y a Hama Amadou qui est également un poids lourd de la vie politique nigérienne. Quelles sont vos chances?

Adal Ag Rhoubeid: «Mohamed Bazoum a effectivement démissionné de son poste de ministre de l’Intérieur en juin dernier pour être candidat. Il a, en face de lui, Hama Amadou qui a été accusé de trafic de bébés, faux et usage de faux en écritures publiques et association de malfaiteurs. Mais ce face-à-face Hama-Bazoum n’intéresse pas l’immense majorité des Nigériens qui sont nés alors même que les deux hommes étaient alliés au début des années 1990. Il y a de surcroît un air de déjà-vu dans cette bataille électorale. Les Nigériens veulent du travail, de la sécurité. Ils sont prêts pour ce que nous appelons «une troisième voie» afin de sortir des seules préoccupations politiciennes.»

*Organisation terroriste interdite en Russie.

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