Lutte contre les séparatismes: Macron «évite de nommer qui nous attaque, l’islam politique»

© AFP 2024 GONZALO FUENTESEmmanuel Macron
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Emmanuel Macron doit dévoiler ce 2 octobre sa stratégie pour lutter contre les «séparatismes», avant la présentation d’un projet de loi prévu pour l’automne. Certaines mesures ont déjà fuité dans la presse et soulèvent des interrogations sur l’approche du gouvernement. Analyse avec Céline Pina, femme politique de gauche et essayiste.

Cette fois-ci, ce devrait être la bonne. Initialement prévu le 22 septembre, le discours d’Emmanuel Macron sur le séparatisme est prévu pour le vendredi 2 octobre. «Séparatisme»: un concept pour le moins polémique, qui avait intégré le vocabulaire présidentiel en février dernier, lorsque le Président de la République avait affirmé depuis Mulhouse vouloir lutter contre le «séparatisme islamiste». Le 4 septembre dernier, lors de son allocution pour célébrer le 150e anniversaire de la République, Emmanuel Macron s’érigeait aussi contre toute «aventure séparatiste»:

«Il n’y aura jamais de place en France pour ceux qui, souvent au nom d’un Dieu, parfois avec l’aide de puissances étrangères, entendent imposer la loi d’un groupe. Non, la République, parce qu’elle est indivisible, n’admet aucune aventure séparatiste», avait déclaré le Président de la République.

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Mais depuis, un léger glissement sémantique s’est opéré dans la communication du gouvernement puisqu’il n’est désormais plus question «du» séparatisme, mais «des» séparatismes, lesquels menaceraient «l’unité nationale». Le 21 septembre dernier sur France Inter, Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, annonçait ainsi que le «projet de loi sur les séparatismes serait finalisé à l’automne». En novembre 2019 pourtant, lors du Congrès des maires de France, Emmanuel Macron mettait alors en garde contre le «communautarisme».

Pour l’essayiste Céline Pina, auteur de Silence coupable (Éd. Kero) et cofondatrice du «mouvement citoyen, laïque et républicain» Viv(r)e la République, ces ajustements de vocabulaire ne sont qu’une manière de se cacher derrière son petit doigt:

«Le fait d’employer le terme séparatisme après avoir essayé d’imposer le terme radicalisation puis communautarisme est lamentable, car il ne sert qu’à essayer de noyer le poisson et d’éviter de nommer qui nous attaque: l’islam politique. […] Il faut arrêter de tricher avec le réel», assène Céline Pina au micro de Sputnik.

Que comprendra ce projet de loi? Lors du discours de Mulhouse, Emmanuel Macron en a tracé les grandes lignes: la fin des imams étrangers détachés et l’augmentation du nombre d’imams formés en France; le contrôle renforcé des financements étrangers des lieux de culte, afin de pouvoir bloquer les projets suspects; la disparition des enseignements en langues et cultures étrangères (ELCO), des cours où interviennent des professeurs étrangers et sans contrôle de l’Éducation nationale, qui concerneraient 80.000 élèves.

Des «mesures d’affichage»?

Lundi 7 septembre, dans un entretien donné au Parisien, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, et Marlène Schiappa, ministre déléguée à la Citoyenneté, dévoilaient de nouvelles mesures. Parmi elles, la création d’un «contrat d’engagement sur la laïcité» qui comprendra notamment un volet sur l’égalité hommes-femmes et que devra respecter toute association sollicitant des subventions publiques.

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Le ministre de l’Intérieur va également «proposer de pénaliser» les certificats de virginité délivrés par certains médecins avant un mariage religieux. Certains sujets sont plus flous ou plus sensibles. La question des prêches en arabe pour les imams pose ainsi la question de la liberté du culte: l’État peut-il intervenir et interdire cette pratique en restant dans les clous de la laïcité? Idem pour la polygamie: comment identifier les foyers de polygamie en France, souvent importés de pays dans lesquels cette pratique est autorisée?

Ces mesures annoncées sont en tout cas loin de convaincre Céline Pina, qui n’y voit que des «mesures d’affichage»:

«Le problème, c’est que toutes ces annonces reposent sur la bonne volonté des personnes, car il n’y a quasiment aucun moyen de contrôler ces interdictions. […] Toutes ces mesures énoncées par le gouvernement nomment de vrais problèmes, mais restent très floues ou ne sont que des mesures d’affichage, parce que faire dans l’efficacité demande un peu de courage et d’affronter les procès nourris par le gauchisme culturel en racisme et/ou mépris social.»

À cela s’ajoutent les désaccords internes au sein du gouvernement, auxquels il appartient au Président de la République de répondre. France Info révélait ainsi vendredi dernier que Gérald Darmanin et Jean-Michel Blanquer, tous deux consultés pour l’élaboration du texte parlementaire, s’opposaient sur un certain nombre de sujets, parmi lesquels la question de l’interdiction du voile pour les mères qui accompagnent les sorties scolaires: le ministre de l’Éducation nationale y est favorable, à l’inverse de son collègue de l’Intérieur. Des désaccords qui expliqueraient d’ailleurs le report du discours d’Emmanuel Macron sur «les séparatismes».

Des politiques qui «se payent de mots»

Sur le fond, la stratégie gouvernementale peine à convaincre. Dans un entretien accordé au Figaro le 17 septembre dernier, le philosophe Rémi Brague considérait que ce projet de loi relevait davantage du «bricolage» pénal, alors la France dispose déjà d’un arsenal juridique suffisamment développé pour résoudre le problème du «séparatisme»: «Ce qui serait souhaitable, c’est que l’on fasse respecter les lois existantes. Nous avons l’habitude d’ajouter loi sur loi, et de nous bercer de la gentillette illusion que les gens vont plus respecter la dernière mouture que celle d’avant. Le “rappel à la loi” fait bien rire les délinquants.»

Céline Pina, qui appelle Gérald Darmanin à «mettre les mains dans le cambouis» en commençant par s’attaquer à la «tolérance accordée aux Frères musulmans à travers l’UOIF [Union des Organisations islamiques de France, renommée depuis 2017 “Musulmans de France”, ndlr] ou le CCIF [Comité contre l’islamophobie en France, ndlr]», regrette que les politiques «se payent de mots» sur un sujet aussi grave:

«C’est facile d’être “en guerre” contre le terrorisme islamique. Qui pourrait le défendre? Le problème, c’est de se dire “en guerre” contre le terrorisme islamique et dans le même temps, de ne pas combattre l’islamisme sur le terrain, de lui abandonner les quartiers populaires, de le regarder sans intervenir faire des ravages dans la communauté musulmane en radicalisant notamment la jeunesse: 75% des 18-25 ans se déclarant musulmans font passer l’islam avant la loi française, autrement dit la charia avant la loi!» fustige Céline Pina au micro de Sputnik.

Alors que du côté de l’Élysée, on redoute de voir certains articles du projet de loi retoqués par le Conseil constitutionnel, Emmanuel Macron devra, semble-t-il, trouver la bonne mesure, entre fermeté et respect des libertés fondamentales. Une gageure pour le Président de la République.

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