Menace de reconfinement: un «règlement de compte contre la population»?

© AFP 2024 LUDOVIC MARINEmmanuel Macron et Jean Castex
Emmanuel Macron et Jean Castex - Sputnik Afrique
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Face à un nombre de contaminés au Covid-19 qui continue de prendre de l’ampleur, plusieurs membres du gouvernement ont évoqué ces derniers jours l’hypothèse d’un nouveau confinement. Le politologue Guillaume Bigot critique la stratégie du gouvernement au micro de Sputnik. Il craint que ce dernier ne «fasse encore plus de dégâts».

«On fait tout pour éviter un reconfinement général», mais «avec ce virus on n’exclut rien.» Invitée de Jean-Jacques Bourdin ce lundi 28 septembre, Élisabeth Borne, ministre du Travail, a évoqué un possible reconfinement pour cause de reprise de l’épidémie de Covid-19.

​Ce n’est pas la première personnalité politique de premier plan à le faire. Jean Castex a, le 24 septembre sur France 2, lancé un avertissement aux Français: «L’opinion doit être très attentive et prudente. Si nous n’agissons pas, on pourrait se retrouver dans une situation proche de celle du printemps […] Ça pourrait pouvoir dire reconfinement, et il faut l’éviter», a déclaré le Premier ministre.

72% des Français prêts à respecter un reconfinement

Encore inenvisageable il y a quelques semaines, l’hypothèse de voir les Français de nouveau cloîtrés à leur domicile fait doucement son chemin. Comment expliquer une telle communication de la part de membres influents de l’exécutif?

«Comme ses prédécesseurs, ce gouvernement navigue avec les sondages sur un certain nombre de sujets. C’est le cas concernant le coronavirus, au contraire de l’immigration ou de la justice», explique au micro de Sputnik Guillaume Bigot, politologue, éditorialiste sur CNews et directeur général de l’IPAG Business School.

Selon un sondage réalisé par l’IFOP et publié le 27 septembre dans le JDD, 72% des Français seraient prêts à «respecter un reconfinement d’au moins 15 jours». Plus généralement, 86% se disent «inquiets» face à l’épidémie. Pour Guillaume Bigot, de tels résultats ne sont guère étonnants:

«Je pense que ce sondage est le résultat de la communication catastrophiste et alarmiste des autorités.»

Afin d’expliquer l’évocation du reconfinement par l’exécutif, le politologue note que la Commission européenne a récemment appelé les États de l’Union «à durcir leurs mesures de contrôle “immédiatement” face aux nouveaux foyers d’épidémie de Covid-19». «C’est peut-être notre dernière chance d’éviter que la situation du printemps dernier ne se reproduise», a en effet averti Stella Kyriakides, commissaire européenne à la Santé.

«En répondant positivement, le Président de la République irait dans le sens d’une politique sanitaire à l’échelle de l’Union européenne, ce qu’il souhaite. Ce n’est pour le moment absolument pas le cas. Les nations européennes sont en ordre dispersé dans ce qu’elles mettent en place pour lutter contre le Covid-19», souligne Guillaume Bigot.

L’éditorialiste se montre critique avec la gestion de crise du gouvernement, qu’il qualifie de «sorte de fuite en avant très étrange» et de «décrochage avec la réalité». «Il y a eu pour le moment deux phases lors de cette crise sanitaire. La première était le pic pandémique entre mars et mai dernier. La France a connu des jours où plus de 500 personnes perdaient la vie à cause du virus. Pour éviter une telle situation et le confinement généralisé, le gouvernement n’a, au préalable, pas mis en place un branle-bas de combat que ce soit au niveau des tests ou de la politique sanitaire en général», déplore le politologue.

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Ce dernier met notamment en avant le fait qu’avant le pic pandémique et le confinement généralisé, les autorités jugeaient le port du masque non indispensable. C’était encore le cas pendant le confinement qui a débuté le 17 mars. Dans Le Point du 16 avril, Emmanuel Macron déclarait encore: «Je refuse de recommander le port du masque pour tous et jamais le gouvernement ne l’a fait.» Ce jour-là, 435 personnes mourraient du coronavirus à l’hôpital, selon les données de Santé publique France.

Guillaume Bigot note le décalage avec ce qu’il qualifie de deuxième phase, «celle dans laquelle nous nous trouvons actuellement». Une phase «difficile à qualifier» et qui «ne parvient pas à mettre d’accord les médecins sur sa nature», estime l’éditorialiste. «Il apparaît cependant clair que le nombre de morts est sans commune mesure avec ce qui a pu être observé lors du pic de la pandémie», relève-t-il. Le 27 septembre, 27 décès ont été comptabilisés. Un chiffre très loin des 613 morts enregistrés à l’hôpital le 6 avril dernier.

«Depuis le mois de juin, les autorités mettent en garde contre cette fameuse “seconde vague”. On ne la voit toujours pas arriver en nombre de morts. Cela viendra peut-être. Pourtant, les mesures imposées aux Français sont très contraignantes et très coercitives», souligne Guillaume Bigot.

Entre port du masque obligatoire dans les entreprises, à l’école et dans de nombreuses grandes villes, la limitation des rassemblements et des horaires d’ouvertures des bars et restaurants restreints dans certaines zones à risque, qui peuvent également voir la fermeture des salles des sports, les autorités ont opéré un sérieux tour de vis.

«Commedia dell’arte»

Les bars et restaurants des villes de Marseille et Aix-en-Provence, toutes deux placées en en «zone d’alerte maximale», ont carrément dû fermer leurs portes ce 28 septembre à minuit. Une situation qui doit perdurer jusqu’au 11 octobre.

«On a parfois l’impression que le gouvernement réagit avec retard et fait payer aux Français son impréparation de la première phase. Je crains qu’en durcissant le ton –dans un cadre où les mesures prises sont déjà disproportionnées par rapport à l’impact réel de la pandémie–, le gouvernement fasse encore plus de dégâts», prévient Guillaume Bigot.

L’éditorialiste s’inquiète d’une «parole publique abîmée par les autorités». Il parle d’une sorte de «commedia dell’arte» jouée par les autorités et assure «que l’on n’arrête pas une pandémie, on peut éventuellement la ralentir.»

Une stratégie dangereuse?

Le directeur de l’Ipag Business School affirme que le gouvernement ne peut pas tout. Il explique notamment que des critères culturels existent. Le politologue souligne que la France appartient aux pays latins où l’«on a moins l’habitude de traverser dans les clous qu’en Allemagne, dans les pays scandinaves ou en Asie.» Pour lui, cela explique en partie un respect plus difficile des consignes sanitaires dans l’Hexagone.

«Les autorités peuvent bien mettre des amendes de 135 euros pour non-port du masque, elles ne transformeront pas les Français en Allemands», ironise Guillaume Bigot. Ce dernier met aussi en avant «la saisonnalité» du virus, qui le rendrait plus dangereux quand les températures chutent et que l’humidité augmente.

«On a raison de recommander le port du masque dans certaines circonstances ou l’utilisation du gel hydroalcoolique et les gestes barrière. Pour le reste, tout est transformé par notre gouvernement en une sorte de règlement de comptes contre la population. C’est dangereux», affirme le politologue.

«Il est facile de donner des leçons, mais il me semble que dans une telle crise, les autorités doivent agir de la manière la plus forte possible tout en se montrant rassurantes avec la population. Rien n’est pire que la panique», poursuit-il.

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Pour Guillaume Bigot, avant le pic épidémique du printemps dernier, le gouvernement a fait précisément l’inverse et continue depuis avec «ses messages anxiogènes et sa volonté d’infantiliser la population», à tel point qu’il «brandit aujourd’hui la menace du reconfinement.»

Une stratégie d’autant plus dangereuse d’après le politologue qu’elle ne pourrait pas être suivie par une partie non négligeable de la population. Si 72% des personnes récemment interrogées par l’IFOP se disent prêtes à «respecter un reconfinement d’au moins 15 jours», 14% d’entre elles répondent «non, certainement pas». De plus, seuls 36% des sondés font confiance au gouvernement pour faire face efficacement à la crise coronavirus.

Guillaume Bigot met en garde: «C’est extrêmement dangereux pour le gouvernement de donner des instructions qui pourraient ne pas être suivies d’effets. Quand un pouvoir donne des ordres qui ne sont pas exécutés, il dévoile que son pouvoir repose sur le consentement et que si les gens refusent d’obéir, il perd son pouvoir.»

​Dans les villes concernées, les fermetures ou restrictions d’ouverture des bars et restaurants ont entraîné une colère noire des travailleurs du secteur qui appellent pour certains, comme à Nice et à Marseille, à ne pas respecter les consignes des autorités.

«Le gouvernement se met en danger en donnant des instructions qui sont peu fondées ou difficiles à justifier. L’autorité publique se retrouve abîmée par l’État lui-même. Et c’est très inquiétant», conclut Guillaume Bigot.
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