Que faire quand la population demande le maintien d’un gouvernement militaire, mais que vous faites l’objet de sanctions de vos partenaires commerciaux si vous n’instaurez pas un gouvernement civil? Au Mali, la solution est toute trouvée: nommer un ancien militaire à la retraite… donc un civil!
Cet homme, c’est Bah N’Daw. Âgé de 70 ans, il est ancien ministre de la Défense et colonel-major à la retraite. Investi ce 25 septembre, son intérim est prévu pour une période transitoire de 18 mois, avant que se tiennent des élections générales. Une victoire subtile de l’armée sur la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), qui avait imposé des sanctions au gouvernement jusqu’à lors tenu par la junte militaire, car elle tenait impérativement à ce que le leadership militaire ne perdure pas au sommet de l’État malien.
La junte sous pression de la CEDEAO
Un tour de passe-passe que le sociologue Brema Ely Dicko, enseignant-chercheur à l’université des Lettres et Sciences humaines de Bamako, qualifie au micro de Sputnik de «transition civile militairement assistée.» Et selon cet observateur de longue date des dynamiques politiques et sociales du Mali, ce compromis est la solution la plus à même de contenter la population malienne, ou en tout cas bamakoise:
«Quand les militaires ont pris le pouvoir, ils ont annoncé une transition civile. Mais à ce moment, eux-mêmes n’avaient pas mesuré le discrédit de la classe politique, qui avait favorisé l’émergence du mouvement M5-RFP [principale mouvance civile de contestation du gouvernement précédent, ndlr].»
Ils s’étaient donc proposés pour assurer la transition politique entre le coup d’État et les élections anticipées. Problème:
«La CEDEAO ne voulait pas de ça. Donc les militaires, après avoir organisé trois journées de concertation, ont fini par trouver une formule qui puisse faire taire la grogne sociale au Mali et soulager la CEDEAO, qui ne voulait absolument pas d’un gouvernement militaire. Ils ont donc trouvé un compromis avec Bah N’Daw.»
Pour Brema Ely Dicko, cette nomination est la meilleure solution car, «il fallait résorber le fossé entre la société civile et la classe politique et pour beaucoup de Maliens qui aspiraient au changement, la transition devait être assurée par les militaires.» En effet selon lui, il est impératif de comprendre que pour une grande majorité de Maliens, le népotisme de la classe politique et sa corruption exacerbée ont fait qu’elle a complètement détruit le tissu social du pays, et qu’il va falloir du temps pour le reconstruire.
Au Mali, la classe politique totalement discréditée
A contrario, l’armée a toute la confiance de la population, en particulier au sud, car beaucoup ont donné leur vie dans le combat contre le terrorisme et les autres menaces au Nord et à l’Est du pays. Et ce, même si les peuples qui ont soif d’exercice démocratique ne raffolent pas de l’idée d’un gouvernement militaire.
«Il y a toujours un risque, lorsqu’on a un gouvernement militaire, qu’il accapare le pouvoir. Mais à ce jour, le mal malien est trop profond, il y a trop de problèmes dans trop de secteurs. Malgré les incertitudes de cette transition, elle doit au moins pouvoir contribuer à poser les fondations du futur État malien», souligne Brema Ely Dicko.
En ce sens, «le choix de Bah N’Daw est cohérent, car il permet aux Maliens de se retrouver autour d’un acteur politiquement neutre et un retraité de 70 ans qui n’a pas d’aspiration politique à long terme», précise le sociologue.
Autre inconnue de poids après cette nomination, la capacité de ce nouveau Président et son futur gouvernement à travailler avec les forces françaises et internationales présentes sur le territoire malien. Là aussi, Brema Ely Dicko, auteur de la thèse Les ressources de la migration: les activités commerciales des Maliens en France et au Mali, estime que la transition devrait bien se passer, car le sentiment anti-français n’est pas excessivement présent parmi les décideurs maliens. Au contraire, «les classes dirigeantes ou militaires, de façon générale, ne portent pas de désaveu vis-à-vis de la France.»
«Les militaires maliens ont toujours fait part de leur volonté de continuer à travailler avec Barkhane et tous les autres partenaires extérieurs. Ils savent qu’ils ont besoin de beaucoup de moyens, donc ils vont voir comment ils peuvent mettre en place une coordination pour lutter contre le terrorisme de façon efficace», conclut Brema Ely Dicko