Mediapart: le lobby pharmaceutique européen se dédouane d’indemnisations de possibles victimes de leur vaccin

© Photo Pixabay/ qimonoUn vaccin (image d'illustration)
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Vu la rapidité et l’envergure du développement de vaccins contre le Covid-19, les producteurs européens se dédouanent par avance d’éventuelles indemnisations financières liées à de possibles effets indésirables en signant des clauses avec les États pour qu’ils endossent toute la responsabilité, révèle Mediapart.

Depuis le printemps, les producteurs européens de vaccins contre le Covid-19 se protègent des indemnisations financières d’éventuelles victimes en signant des clauses avec les pouvoirs publics pour que ces derniers prennent en charge les risques dans le cas d’effets indésirables, selon Mediapart.

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Ils le font face aux «risques inévitables» liés à «la rapidité et l’échelle de développement et de mise sur le marché» de vaccins contre le Covid-19, estime dans une note adressée à ses adhérents dès le mois de mai 2020 la division Vaccines Europe (1) de la Fédération européenne des associations et industries pharmaceutiques (EFPIA).

Et de poursuivre que ceci rend «impossible de générer le même niveau de preuves sous-jacentes que ce qui serait normalement disponible grâce à de larges essais cliniques et l’expérience constituée auprès des professionnels de santé». Cela nécessite «un large système de compensation amiable et sans reconnaissance de faute, et une exemption de responsabilité civile», explique l’EFPIA, qui a refusé de répondre aux questions de Mediapart.

Contrats conclus

Ainsi, un contrat d’achat anticipé de vaccins contenant une telle clause a été déjà conclu par la Commission européenne avec AstraZeneca. Pour rappel, ce groupe pharmaceutique britannique avait suspendu le 9 septembre les essais cliniques de son vaccin contre le Covid-19 à cause d'une réaction indésirable chez un participant avant de les reprendre quatre jours plus tard.

En outre, la Commission européenne mène actuellement des négociations avancées de précommandes de vaccins au nom des 27 États membres avec quatre autres laboratoires: le français Sanofi, Johnson&Johnson, CureVac et Moderna.

«Nous travaillons à des signatures pour les prochaines semaines et c’est important que l’Europe négocie d’une seule voix, notamment pour les plus petits États européens», plaide Guillaume Roty, porte-parole de la représentation de la Commission européenne en France.

Dans ces contrats prévoyant une clause d’exemption de responsabilité, «le choix a été fait de partager avec [les fabricants, ndlr] les risques éventuels liés à ces vaccins afin de compenser les risques élevés pris par [eux] dans le contexte d’un développement accéléré réalisé à la demande de la puissance publique», justifie auprès de Mediapart le ministère de la Santé.

«Mesure nécessaire»

Alors qu’en règle générale «le laboratoire est responsable du défaut de sécurité du produit», lorsque l’autorisation de mise sur le marché est obtenue, «l’État prend en charge l’indemnisation des effets secondaires graves sauf si la faute du laboratoire est établie», explique Antoine Béguin, avocat spécialisé en responsabilité médicale.

Guillaume Roty, porte-parole de la Commission européenne, lance à son tour à Mediapart que «les entreprises pharmaceutiques ne se lanceraient pas dans la recherche d’un vaccin […] si l’Union européenne ne signait pas ce type de clauses»:

«C’est une mesure nécessaire car on veut diviser par dix le temps de R&D [recherche & développement] habituel. Le producteur doit aller beaucoup plus vite et donc prendre davantage de risques, d’autant que les entreprises ne peuvent pas être sûres que leurs recherches aboutiront à un vaccin efficace contre le Covid-19».

Première en son genre

Pour l’Union européenne, ce type de négociation de clauses est une première, alors que la plupart des États avaient déjà signé ce type de clauses dans les années 2000 en lien avec la grippe H1N1.

En France, dans son rapport effectué au nom de la commission d’enquête sur la grippe A en juillet 2010, le Sénat dénonçait déjà ce «transfert à l’État de la responsabilité des laboratoires du fait des produits défectueux». Dans le fichier, la clause est jugée «très choquante, car elle dégage en fait, sauf en cas de faute avérée, le producteur de toute responsabilité, dont elle transfère la charge à la solidarité nationale».

Vaccins contre la grippe H1N1: 15 millions d’euros d’indemnisations

Comme l’a fait savoir auprès de Mediapart l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam), pour le moment la réparation financière des effets secondaires liés à la vaccination contre la grippe H1N1 a coûté à la solidarité nationale 15 millions d’euros. L’Oniam précise qu’à l’époque, à peine 8% des Français s’étaient fait vacciner.

Mediapart souligne que cette somme comprend «le montant du chèque définitif perçu par 57 victimes de ce vaccin, de 320.000 euros en moyenne, ainsi que les indemnités partielles de celles dont le dossier est toujours en cours». Mes séquelles de vaccinations sont «souvent à vie et très graves», comme une narcolepsie, ponctue le média.

L’adjuvant du vaccin sème des doutes

L’AS03, adjuvant du vaccin fabriqué à base de squalène du Pandémrix par le laboratoire britannique GSK, a pendant longtemps été mis en cause quant aux cas de narcolepsie.

«Les dernières études semblent dédouaner l’adjuvant. L’ingrédient actif du vaccin utilisé en Europe, en revanche, aurait été responsable des cas de narcolepsie», estime Marie-Paule Kieny, présidente du comité vaccin Covid-19.

Début septembre, les géants GSK et Sanofi qui prennent part à la course aux vaccins contre le Covid-19, ont débuté les essais de phase 3. Le service de presse de GSK a fait savoir auprès de Mediapart que pour le futur vaccin, ils ont notamment recours à l’adjuvant AS03, celui utilisé contre la grippe H1N1.

Cependant, Marie-Paule Kieny, également ancienne directrice adjointe de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), reste rassurante auprès du journal concernant le type d’adjuvant:

«L’ingrédient actif est différent pour le vaccin contre le Covid-19. Il ne contient ni de séquences dérivées du virus influenza H1N1 ni de contaminants provenant des œufs. Il est donc hautement improbable qu’on ait à nouveau affaire à des cas de narcolepsie».

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Pour le vice-président de la commission des vaccinations de la Haute autorité de la santé (HAS) Daniel Floret, «la présence ou non d’adjuvant va jouer sur l’acceptabilité du vaccin contre le Covid-19 par la population». Cependant, «les agences réglementaires comme l’EMA vont s’appuyer sur les arguments scientifiques en leur possession pour accorder une autorisation de mise sur le marché en sachant qu’il est tout à fait possible qu’apparaissent a posteriori des effets indésirables rares qui n’auront pas été détectés pendant les essais cliniques. C’est inévitable», poursuit-il au média.

Jeremy Ward, sociologue et membre du projet d’enquête Coconel, pour coronavirus et confinement, pointe à son tour l’importance «de ne pas insister sur le fait que les vaccins vont arriver vite mais qu’ils seront sûrs et tout faire pour».

«La campagne contre la grippe H1N1 a beaucoup accentué la méfiance vis-à-vis des vaccins en général. La vaccination a connu dix années difficiles après. Le fait que les laboratoires aient obtenu à l’époque ces exemptions de responsabilité avait été utilisé par les critiques du vaccin», conclu-t-il aux journalistes.
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