«Une certaine France réagit violemment à l’émergence de Français-Africains dans les arcanes du pouvoir. J’ai été dix ans élu municipal et j’ai vu l’étonnement quand je suis arrivé comme vice-président pour représenter notre agglomération sur les sujets des mobilités. Parce que dans l’inconscient français, les Français-Africains ne sont pas encore tout à fait Français», a témoigné au micro de Sputnik France Olivier Segbo, un ancien élu centriste de l’Essonne (91), membre de l’Union des démocrates et indépendants (UDI).
Réintégré à sa demande dans sa nationalité française –puisqu’il n’était pas majeur quand son pays de naissance, le Bénin, est devenu indépendant le 1er août 1960–, Olivier Segbo est arrivé en France en 1986. Cet ancien professeur de mathématiques a mené, après des études en électronique à l’Université Paris VI, une carrière d’expert en systèmes informatiques. Un parcours professionnel sans accroc, qui ne lui a pourtant pas permis d’échapper au racisme anti noir, dont il ne minimise ni n’exagère la portée:
«Le fait d’avoir des diplômes supérieurs, c’est vrai, facilite considérablement l’intégration. Mais il est de plus en plus difficile dans le contexte actuel de convaincre vos interlocuteurs que les Français-Africains ne sont pas que des dealers en échec scolaire», ironise-t-il.
Élu sur la liste de Nathalie Kosciusko-Morizet lorsque celle-ci a «arraché la mairie de Longjumeau à la gauche, en 2008, après avoir été élue députée de l’Essonne entre 2002 et 2017», il continue d’être «très fier du travail accompli» dans sa ville. Même si, là encore, ses origines africaines l’auraient «stoppé» dans ses ambitions politiques, regrette-t-il.
«La sociologie politique de l’UDI, qui sert d’appoint pour les partis [de droite, ndlr] dominants, est très conservatrice. À chaque fois que j’ai voulu postuler pour un mandat national, je me suis heurté à un plafond de verre. Alors que, –sans flagornerie–, je peux dire que j’ai apporté plus [d’expertise, ndlr] à la politique française qu’elle ne m’en a apporté!», affirme cet ancien élu, qui a fini par jeter l’éponge après que sa liste (indépendante) a été battue aux dernières élections municipales.
Que pense-t-il de la fiction mettant en scène Danièle Obono, député de La France Insoumise (LFI), illustrée par un dessin de celle-ci enchaînée comme une esclave par Valeurs actuelles ou des déclarations de l’ex-Président Nicolas Sarkozy, qui s’était demandé, jeudi 10 septembre, dans l’émission «Quotidien», s’il était encore possible de dire le mot «singe», alors qu’il n’est plus possible de dire le mot «nègre»?
Silence assourdissant
Quant au tollé déclenché deux semaines auparavant par l’article de fiction consacré à Danièle Obono et les discours sur l’indigénisme qui s’en sont suivis, ils sont selon lui encore plus révélateurs de «certaines dérives dans le discours anti-noir que l’on est en train de vivre partout dans le monde», affirme-t-il.
Son association des Élus français d’Origine béninoise (EFOB) a publié un communiqué, «pour marquer notre indignation». Mais il constate qu’aucune autre association d’élus, telles que l’association des maires de France (AMF) ou celle des maires d’Île-de-France (AMIF), n’a réagi. «Elles qui pondent un communiqué à chaque fois que l’un de leurs élus est agressé, leur silence est assourdissant», déplore-t-il, bien que Danièle Obono ne soit pas élue municipale.
«La migration noire africaine, en France, est tolérée plus qu’elle n’est attendue. Et cela se ressent dans la manière dont les Français-Africains sont perçus par le landernau politique en France. Il n’y a qu’à voir la manière odieuse dont on a traité Sibeth Ndiaye [ex-porte-parole du gouvernement, ndlr] dans les médias. Heureusement, elle a toujours eu la confiance d’Emmanuel Macron et il a eu raison», poursuit Olivier Segbo.
Pour lui, deux partis seulement font actuellement exception dans leur volonté de «promouvoir des élus noirs» et pas seulement pour qu’ils fassent de la figuration: «la France Insoumise (LFI) et la République En Marche (LREM)», affirme-t-il.
«Sur les conditions d’entrée et de séjour des étrangers africains en France, je crains qu’ils ne soient pas d’un grand secours. C’est une ligne force qui dure depuis Pierre Joxe, quand il était ministre de l’Intérieur en 1988», constate-t-il amèrement.
Aussi, même si l’actuel locataire de l’Élysée a essayé, selon lui, de «secouer le cocotier» en faisant élire nombre de «bébés Macron» issus de la diaspora africaine dans les rangs de LREM, à l’instar de la députée de la IVe circonscription de Seine-Maritime, Sira Sylla, l’impact de ces immigrés ou enfants d’immigrés devenus Français reste «faible pour faire bouger les lignes», martèle Olivier Segbo. Quand ils ne sont pas eux-mêmes victimes d’attaques de la part des «identitaires» lorsqu’ils essaient de promouvoir des lois pour aider les Africains.
Force est de constater que dans l’histoire récente de France, «seuls Koffi Yamgnane et Rama Yade ont été des ministres issus des diasporas africaines. Christiane Taubira, quant à elle, est guyanaise», regrette-t-il par ailleurs.
«Tous les hommes et les femmes politiques, à l’exception d’Emmanuel Macron, ont fait le vide des Français-Africains autour d’eux, dès qu’ils ont commencé leur ascension vers les sommets de l’État. C’est encore plus vrai pour la gent masculine», affirme ce consultant en entreprise qui dirige aujourd’hui le groupe Kryptsys, spécialisé en cybersécurité.
Alors, pour «faire face aux discriminations dans les recrutements» et «lutter contre le plafond de verre» dans les organisations, il préconise qu’à l’instar «des Français-Africains qui ont commencé à sortir leur épingle du jeu dans le champ économique», nombre de migrants d’origine africaine se consacrent davantage à l’entrepreneuriat. «Je crois que c’est une tendance à suivre, notamment avec les femmes», note-t-il.
«Premiers de cordée»
Dans un récent entretien à AfricaPresse, Christian-Makolo Kabala, président de Sud Axe Partners, a estimé qu’il y avait aujourd’hui pléthore de professionnels issus de la diaspora. Parmi ces «premiers de cordée», ce banquier, membre du Club Efficience dirigé par Élie Nkamgueu –lequel édite tous les deux ans le «Gotha noir» en Europe–, a mis en exergue les noms de dirigeants d’entreprise de haut vol issus de pays d’Afrique francophone.
On y retrouve Tidjane Thiam, récemment nommé au conseil d’administration du groupe Kering, Momar Nguer, membre du comité exécutif de Total et président du comité Afrique du MEDEF international, Emmanuel Kasarhérou, président du musée du quai Branly-Jacques Chirac, Patrice Anato, député et président du Forum des diasporas, le général Jean-Marc Vigilant, nouveau directeur de l’École de guerre, qui a pris ses fonctions le 27 juillet dernier ou bien encore Élisabeth Tchoungui, nouvelle directrice exécutive RSE, Diversité et Solidarité du groupe Orange.
Changer la relation France-Afrique
Leur réussite, de surcroît, profite «davantage au pays d’accueil qu’au pays d’origine de ces surdiplômés», constate-t-il. Comment dans ces conditions changer la perception par les Français des Français-Africains qui est, selon lui, «indissociable de la relation entre la France et les pays africains, notamment francophones»? Une tâche d’autant plus difficile que, bien souvent, la trop grande liberté de pensée de ces élites issues des diasporas «effraye les dirigeants africains eux-mêmes», affirme-t-il.
«Pour changer la relation Afrique-France, il faudrait qu’en France, on soit aux manettes et aux postes stratégiques de réflexion et de décision et qu’en Afrique, on puisse influer sur les décideurs africains. Or, je ne connais que peu de Français-Africains dans ces cercles de pouvoir en France où se pense et se décide la relation Afrique-France», s’étonne Olivier Segbo.
Une tentative a certes été faite avec la création en août 2017 du Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA). Mais la dispersion actuelle de ses membres et la difficulté à en recruter de nouveaux laisse dubitatif quant aux véritables avancées de la nouvelle politique africaine de Macron consistant à parier sur la société civile.
Même si entre-temps, la crise des Gilets jaunes et la pandémie de coronavirus ont donné un coup d’arrêt définitif à toutes les avancées contenues dans son discours de Ouagadougou de novembre 2017. L’année africaine qui devait débuter en juillet 2020, par exemple, a dû être reportée sine die.
«La politique africaine de la France se décide au Quai d’Orsay et à l’Élysée. Il faut une dose d’innocence pour croire qu’un Conseil de Français-Africains suffise à changer les choses. J’y ai même lu le signe d’un bâton de maréchal offert en guise de solde de tout compte», ironise Olivier Segbo.
Car, là encore, estime-t-il, si l’on veut changer les choses en profondeur, il faudra «former des cadres français-africains, en nommer dans les rouages diplomatiques –les profils ne manquent pas–, et requestionner notre politique africaine», conclut-il.